LA MAISON DU BERGER
À ÉVA
I
...
Que Dieu guide à son but la vapeur foudroyante
Sur le fer des chemins qui traversent les monts,
Qu’un Ange soit debout sur sa forge bruyante,
Quand elle va sous terre ou fait trembler les ponts
Et, de ses dents de feu, dévorant ses chaudières,
Transperce les cités et saute les rivières,
Plus vite que le cerf dans l’ardeur de ses bonds !
Oui, si l’Ange aux yeux bleus ne veille sur sa route,
Et le glaive à la main ne plane et la défend,
S’il n’a compté les coups du levier, s’il n’écoute
Chaque tour de la roue en son cours triomphant,
S’il n’a l’œil sur les eaux et la main sur la braise :
Pour jeter en éclats la magique fournaise,
Il suffira toujours du caillou d’un enfant
Sur ce taureau de fer qui fume, souffle et beugle,
L'homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor
Quels orages en lui porte ce rude aveugle,
Et le gai voyageur lui livre son trésor ;
Son vieux père et ses fils, il les jette en otage
Dans le ventre brûlant du taureau de Carthage,
Qui les rejette en cendre aux pieds du dieu de l'or.
Mais il faut triompher du temps et de l'espace,
Arriver ou mourir. Les marchands sont jaloux.
L'or pleut sous les charbons de la vapeur qui passe,
Le moment et le but sont l'univers pour nous.
Tous se sont dit: " Allons ! " mais aucun n'est le maître
Du dragon mugissant qu'un savant a fait naître ;
Nous nous sommes joués à plus fort que nous tous.
Évitons ces chemins. - Leur voyage est sans grâces,
Puisqu'il est aussi prompt, sur ses lignes de fer,
Que la flèche lancée à travers les espaces
Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air.
Ainsi jetée au loin, l'humaine créature
Ne respire et ne voit, dans toute la nature,
Qu'un brouillard étouffant que traverse un éclair.
On n'entendra jamais piaffer sur une route
Le pied vif du cheval sur les pavés en feu :
Adieu, voyages lents, bruits lointains qu'on écoute,
Le rire du passant, les retards de l'essieu,
Les détours imprévus des pentes variées,
Un ami rencontré, les heures oubliées,
L'espoir d'arriver tard dans un sauvage lieu.
La distance et le temps sont vaincus. La science
Trace autour de la terre un chemin triste et droit.
Le Monde est rétréci par notre expérience,
Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit.
Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne,
Immobile au seul rang que le départ assigne,
Plongé dans un calcul silencieux et froid.
Les Destinées.
du mardi 10 mai 1842
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NÉCROLOGIE
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C’est avec un sentiment profond de douleur et d’épouvante qu’on a appris aujourd’hui les détails circonstanciés de l’horrible événement survenu hier sur le chemin de fer de la rive gauche. D’ordinaire il y a de l’exagération dans les premiers bruits qui sont répandus, dans les premières impressions qui se forment ; mais cette fois on été resté bien au-dessous de la vérité. Pour ne pas alarmer le public, nous nous sommes d’abord tenus en défiance contre les récits qui nous étaient apportés et qui, à force d’être lamentables, manquaient à nos yeux de vraisemblance, bien qu’ils fussent de la plus rigoureuse exactitude. Ce n’est que lorsque les faits nous ont été connus dans leur ensemble, lorsque les témoignages se contrôlant l’un l’autre, nous sommes arrivés de toutes parts, lorsqu’enfin les renseignements scrupuleusement recueillis se sont trouvés d’accord avec ce que nous avions pu voir par nous-mêmes, que nous avons jugé de toute l’étendue du désastre qui est réellement à déplorer.
Nous citons plus bas les faits qui sont venus à notre connaissance et qui ont marqué dans cette triste journée du 8 mai. Mais combien de scènes déchirantes ne peuvent pas être racontées et ne laisseront pas même un souvenir ? Parmi les pertes les plus cruelles, connues jusqu’à présent, il faut compter, à ce qu’il paraît, celle de M. Dumont-d’Urville, l’intrépide voyageur, qui, après avoir fait deux fois le tour du monde, est venu périr misérablement, et d’une horrible mort, avec toute sa famille, dans une excursion de quatre lieues ! On parle aussi de graves accidens qui ont mis en danger deux autres jeunes gens sortis de l’école Normale ou de l’école Polytechnique et dont le mérite déjà constaté était l’objet des plus hautes espérances. Quelques personnes ont disparu sans qu’il soit possible de dire encore si elles ont été enveloppées dans cette effroyable catastrophe. On s’attendait ce soir à trouver dans le Messager des renseignements officiels que l’autorité seule pouvait donner ; mais chacun a pu remarquer ce qu’il y avait de sec, de tronqué, d’incomplet dans le récit publié par cette feuille.
Nous sommes heureux d’avoir à constater l’empressement que l’honorable maire de Meudon, le gouverneur du château, et en général toute la population de Bellevue, de Meudon et des lieux voisins, ont mis à secourir les blessés. Quant aux reproches, il y aurait de la dureté à en adresser à l’administration du chemin de fer avant de s’être assuré qu’ils ont été justement encourus. Les circonstances qui ont le plus vivement impressionné le public, ce sont les wagons qui sont restés fermés pendant que l’incendie se communiquait d’une voiture à l’autre par suite d’une précaution commandée peut-être, mais devenue bien fatale dans cette occasion ; c’est l’adhérence immédiate aux locomotives des wagons chargés de voyageurs ; c’est surtout l’emploi de deux de ces machines pour un même convoi. Assurément il y a des mesures à prendre et une surveillance plus sévère à exercer pour prévenir non seulement le retour mais la simple possibilité de désastres aussi affreux.
du mardi 10 mai 1842
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Événement du chemin de fer (rive gauche)
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L’horrible malheur qui est arrivé hier dimanche sur le chemin de fer de Versailles (rive gauche), a été aujourd’hui le sujet de toutes les conversations. Les affreux détails recueillis sur ce désastre ont causé à Paris une effroyable consternation. À la chambre, les députés ne s’abordaient que pour se demander des nouvelles de leur famille et de leurs amis ; à la Bourse l’émotion n’a pas été moins vive, on se racontait les affreuses péripéties de ce funeste drame. Un grand nombre de personnes se sont portées au cimetière Montparnasse, où l’autorité a fait déposer les restes informes de 32 cadavres ; les portes de la Morgue ont été assiégées pendant toute la journée par une foule compacte, que la garde municipale à cheval avait la plus grande peine à maintenir.
Ce matin à huit heures, nous nous sommes portés sur le lieu du désastre. À Meudon, à Bellevue, à Sèvres, nous n’avons rencontré que des malheureux inquiets, hagards, désespérés, courant de tous côtés, cherchant dans tous les lieux convertis en dépôts, demandant à voir des débris humains, des cadavres, et interrogeant des morceaux de robe, des lambeaux de gants et de cravates, des restes d’habits pour éclairer leurs tristes prévisions.
La catastrophe est arrivée à peu près comme nous l’avons rapporté hier : le convoi, parti de Versailles à cinq heures et demie, remorqué par deux locomotives, venait de dépasser la station de Bellevue, les derniers wagons étaient encore sous le pont quant tout à coup l’essieu de la machine qui était en tête vint à se briser. Cet essieu était encore ce matin en travers des rails, à 150 pas environ du petit chemin de Sèvres. La locomotive brisée s’arrêta court, la seconde locomotive vint lui donner une violet impulsion et la poussa devant elle pendant cet espace de 150 pas, mais alors le convoi fut arrêté par le double rail qui se trouve placé en face du petit chemin de Sèvres, et la force de la vapeur et de l’impulsion fut telle, sur ce plan sensiblement incliné, que la seconde machine monta sur la première, brisa le foyer et couvrit la route de charbons ardens. À leur tour, les wagons arrivèrent sur la seconde locomotive, que le choc avait arrêtée, poussèrent également le premier wagon sur elle, le second sur le premier et ainsi de suite jusques et y compris le cinquième. Le convoi était sorti des rails ; la force de la vapeur et de l’impulsion, malgré les obstacles qui s’opposaient à sa marche, lui firent parcourir encore un espace de 75 à 100 pieds ; puis les voitures se renversèrent les unes sur les autres, fermant ainsi toutes les issues, enlevant toutes les chances de salut et au-dessous de ces voitures amoncelées se trouvait le foyer de l’incendie, que le vent alimentait incessamment.
Les secours étaient déjà impossibles, les flammes chassées par le vent trouvèrent un aliment de combustion dans les peintures toutes récentes des voitures : l’incendie commença à six heures un quart, s’éleva en peu d’instans à une hauteur prodigieuse et l’intérieur des wagons devint une fournaise brûlante dont il était impossible de sortir. Des voyageurs qui parvinrent à ouvrir les carreaux des portières furent asphyxiés par la fumée ; plusieurs autres, blessés par les premiers chocs, étaient dans l’impossibilité matérielle de se remuer, et il fallut que ces malheureux attendissent ainsi la mort la plus horrible. Alors ce fut un spectacle déchirant pour ceux qui étaient accourus au bruit de cet épouvantable sinistre, les malheureux poussaient des cris de désespoir et on ne pouvait les secourir. Les voyageurs des deux derniers wagons et deux ou trois du premier, dit-on, purent seuls être retirés de ce gouffre de destruction.
Quand le feu eut perdu de son intensité, on se précipita au secours des victimes, et en quelques secondes 39 cadavres défigurés furent couchés sur le tertre qui borde le chemin ; on ne trouva ensuite que des fragments informes de corps humains, des troncs sans membres, des jambes et des bras séparés du tronc.
On nous a cité des épisodes affreux de cette scène de mort.
Deux chauffeurs asphyxiés par la fumée, calcinés par le feu, réduits à l’état de charbon ont été vus pendant quelques instans, debout après leur mort, à leur poste, les mains convulsivement cramponnées aux instruments des locomotives.
Un vieux militaire, retiré vivant de ce tombeau, avait un bras cassé, une profonde blessure au côté droit, et le front en sang. On s’empressait autour de lui, on voulait le secourir… « Il ne s’agit pas de moi, s’écriait-il d’une voix tonnante, vous voyez bien que je n’ai rien, que je ne souffre pas, sauvez mon fils, sauvez mon frère, sauvez mon fils qui est là. » Et son bras mutilé montrait encore les wagons enflammés.
Une jeune femme, également retirée vivante du milieu des flammes, demandait son mari… « Il est là, disait-elle, sauvez-le ; vous le reconnaîtrez à sa décoration. » Et elle indiquait son costume, la couleur de son habit. Son mari brûlé était à ses pieds et elle ne le voyait pas et un spectateur étendit sur lui son mouchoir pour le dérober aux regards de cette malheureuse femme.
Quatre des huit conducteurs qui dirigeaient le convoi sont au nombre des victimes.
Un élève distingué de l’école Polytechnique, M. Guyon ou Guyot, est parvenu à sortir par une portière ; il ne portait aucune trace de l’incendie ; on lui a vu faire cinquante pas environ, puis il est tombé mort.
Un autre élève de l’école Polytechnique, M. Bertrand, a eu une cuisse coupée ; on nous a assuré qu’il était mort ce matin à midi.
La femme d’un médecin demeurant rue du Regard, est morte.
Un élève de l’école Normale a eu une jambe coupée.
M. de Gaujal, député de l’Aveyron, se trouvait dans le convoi. Il a été blessé légèrement, dit-on ; ce matin il a été transporté à Paris ; sa femme qui l’accompagnait, a une épaule fracturée ou démise.
M. Retel, avocat est mort.
M. Pontois, avocat a été brûlé. Il avait eu la force de jeter par la portière de la voiture sa jeune sœur, âgée de 14 ans. La pauvre enfant s’est cassée une épaule en tombant.
Un préfet de l’un des départemens qui avoisinent Paris est mort calciné par le feu.
Trois étudians en droit ont eu le bonheur de se sauver sains et saufs en sautant par une portière.
Un mari a été assez heureux pour échapper aux flammes après avoir jeté sa femme par une portière.
Un cordonnier de la rue de Sèvres, enfermé dans un wagon, a vu périr autour de lui tous ses compagnons de voyage ; il n’avait pas encore été atteint par les flammes, mais il attendait une mort certaine, lorsque le toit de la voiture, en s’affaissant, l’a abrité momentanément et lui a permis de s’échapper et de sauter par-dessus une balustrade. Il s’est brûlé les deux mains.
Un prussien d’une force extraordinaire est parvenu à briser une portière et à se sauver avec sa femme.
Parmi les cadavres calcinés retirés des décombres, on en a reconnu deux aux anneaux d’or qui se trouvaient encore à leurs doit noircis et brûlés ; c’étaient deux jeunes mariés de la veille.
Un des administrateurs du chemin de fer de Versailles, rive gauche, disait aujourd’hui que tous les voyageurs qui se trouvaient dans les cinq premiers wagons ont dû être victimes de ce désastre ; chaque wagon contenait 40 personnes ; le chiffre des morts et des blessés doit donc être de 200, sans y comprendre les voyageurs enfermés dans les autres voitures, qui ont eu à souffrir des secousses et des chocs effroyables.
Cependant les secours s’organisèrent ; les blessés furent transportés dans le château de Meudon, dans les maisons voisines ; plusieurs furent descendus à Sèvres.
Un jeune homme très élégamment vêtu parcourait à dix heures les rues de Sèvres en demandant son père, sa mère, ses sœurs, que le feu avait dévorés ; il était fou !
Une malheureuse femme qui se trouvait dans le quatrième wagon cherchait à se sauver par une portière ; déjà elle avait les bras et la tête en dehors et criait au secours. Quelques jeunes gens qui avaient été assez heureux pour échapper à cet affreux désastre essayèrent vainement de l’aider dans sa tentative désespérée. Elle était retenue par les jambes, et, malgré tous leurs efforts, ils furent obligés de l’abandonner. Elle perdit alors toute espérance, joignit les mains avec résignation et disparut dans le foyer de l’incendie.
L’adjoint au maire de Sèvres s’est transporté sur les lieux ; il a travaillé avec un zèle au-dessus de tout éloge à retirer les cadavres des cendres ; à onze heures du soir il fut obligé de s’arrêter ; il avait compté 62 cadavres.
Ce matin à huit heures, quand nous sommes arrivés sur le théâtre de l’incendie, des ouvriers étaient occupés à remuer avec des outils les cendres de ce foyer mort ; ils en retiraient à chaque instant des pièces d’argent, des montres, des bijoux. Ces cendres étaient tout ce qui restait de vingt ou vingt-cinq victimes. Ces montres, ces bijoux seront les seuls indices donnés aux familles et à la justice pour constater le décès.
Seize blessés avaient été déposés hier au château de Meudon : ce matin à dix heures, deux étaient mort. Sur les quatorze survivans, nous avons remarqué plusieurs noms de femmes, un M Gion, demeurant à Paris, rue Saint-André-des-Arts, 61 ; un M. Collin, dont nous avons oublié l’adresse.
Onze blessés ont été déposés hier soir à l’hospice Necker. Ce nombre se réduit à dix aujourd’hui par le décès d’une femme, qu’on dit être l’épouse d’un marchand drapier de Rouen. Sa sœur a été également déposée à l’hôpital Necker est dans un état qui laisse peu d’espoir.
Ce matin l’autorité a pris une mesure à laquelle on ne peut qu’applaudir. Pour éviter les secousses du transport des blessés, le bateau à vapeur le Coureur a été envoyé à Sèvres ; il est revenu à Paris vers deux heures ; il portait, dit-on, 37 blessés et deux morts.
Parmi les médecins accourus de toutes parts lors du désastre, nous devons faire connaître comme s’étant principalement distingués, MM. les docteurs Bérard, chirurgien en chef de l’hospice Necker ; Aladane de Lalibarde, médecin de l’administration, qui, rendu le premier à la gare de la chaussée du Maine, n’a cessé de donner partout ses soins jusqu’à 2 heures après minuit ; Arnaud, chirurgien du 10e bataillon de la garde nationale, qui a rivalisé de devoûment avec ses confrères.
Un banquier de Turin qui était venu passer un mois à Paris, sa femme et sa belle-sœur, n’ont pas reparu hier à leur domicile.
Mlle Félicie de Villevray a également disparu depuis hier soir. Elle était allée à Versailles et devait revenir par le convoi de 6 heures.
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Ce ne sont pas encore là tous les malheurs que nous ayons à rapporter. Le brave amiral Dumont Durville était allé hier à Versailles avec sa famille, composée de sa femme et de son fils âgé de 14 ans, et accompagné d’un officier de marine avec qui il était intimement lié. Il avait annoncé qu’il reviendrait dîner à Paris. On l’a attendu toute la nuit ; ce matin on n’avait aucune nouvelle de lui. Le ministère de la marine a envoyé des exprès à Versailles ; enfin ce soir on a la triste conviction que l’amiral a succombé à une mort affreuse ainsi que tous ceux qui l’accompagnaient. On ajoute qu’une lettre trouvée sur un cadavre méconnaissable ne laisse malheureusement aucun doute sur le sort déplorable de cet illustre marin.
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Nous recevons ce soir la lettre suivante :
Monsieur le Directeur du SIÈCLE,
Un horrible malheur arrivé presque aux portes de Paris vient de porter la désolation dans cent familles. Hier dimanche, une immense affluence, attirée par le jeu des grandes eaux, s’était portée à Versailles ; un convoi chargé de voyageurs en partit à cinq heures et demie. À peine avait-il dépassé la station de Bellevue qu’une des roues de support de la locomotive se détache de son essieu ; l’énorme machine, lancée de toute sa vitesse, après avoir dévié du rail, laboure profondément le sol pendant l’espace de vingt pas, se renverse et se brise. Les wagons qu’elle traînait à sa suite, amenés de la même vitesse et heurtant cet obstacle subit, sont culbutés et s’amoncellent. Mais (et c’est là la circonstance la plus déplorable) le foyer, dont les parois ont été brisées par la violence du choc, communique en un instant le feu au tender chargé de charbon ; de là, l’incendie gagne les premières voitures, qui, construites en matières légères et combustibles, et d’ailleurs déjà disloquées, s’enflamment avec la rapidité de l’éclair.
Cependant les malheureux voyageurs, étourdis d’abord par ce choc violent, s’efforcent de fuir leur prison brûlante ; mais une précaution maudite a fait fermer les portières à clé. Ce fut un spectacle déchirant pour ceux accourus au bruit de ce sinistre, que de voir tous ces infortunés qui se pressaient aux portières en poussant des cris de désespoir et de ne pouvoir leur porter secours. Enfin le feu, après avoir consumé les deux premiers wagons, s’est arrêté dans sa course, et les voyageurs des voitures subséquentes ont pu s’échapper. Mais quel horrible spectacle lorsque les panneaux consumés des premières voitures ont laissé voir les résultats de l’incendie. Des corps mutilés et encore palpitans, des troncs sans membres et des membres charbonnés. Une femme a échappé à la mort comme par miracle, mais elle a vu périr à côté d’elle sa mère et ses deux filles. Une autre retire des décombres enflammés son enfant, mais la malheureuse petite créature n’a plus de tête. En quelques instans toutes les maisons de campagne voisines de l’accident sont transformées en ambulances, et l’on ne saurait trop louer le devoûment des habitans qui mettent au service des blessés matelas et couvertures. On improvise des civières, on se dispute des voitures ; une compagnie de soldats du génie arrive en toute hâte pour faire jouer les pompes, car le feu brûle toujours, mais l’eau manque. À chaque instant on retire des cadavres consumés et méconnaissables. La terre est jonchée de montres et d’argent.
Ce n’est que vers dix heures qu’on est parvenu à se rendre maître du feu, dont un vent assez vif entretenait l’activité, et c’est alors qu’on a pu apprécier plus exactement le nombre de victimes : il ne s’élève pas à moins de soixante personnes tuées ou blessées, sans compter un grand nombre de voyageurs qui, sans être sérieusement blessés, sont cependant plus ou moins gravement contusionnés. Dans ce désastre, l’administration du chemin de fer a déployé une activité digne de tous les éloges. Elle a envoyé de Paris plusieurs convois disposés pour recueillir les victimes de cette catastrophe dont on ne doit pas trop la rendre responsable.
J’ai l’honneur d’être, etc.
AUBŒUF, maire de Meudon.
Lundi, 9 mai 1842, 8 heures du matin.
P.S. À l’heure où je vous écris, les autorités de Versailles et des membres de l’administration du chemin de fer sont sur les lieux. On procède à l’enlèvement des débris de toute nature qui sont chargés dans des wagons et dirigés soit sur Paris soit sur Versailles. Les cadavres n’ont pas été comme on en a déjà fait courir le bruit, inhumés précipitamment pendant la nuit, mais transportés dans une salle du château de Meudon, où chacun a là toute faculté de reconnaître ses parens et ses amis.
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Voici, à ce que l’on nous assure, comment serait arrivé le déplorable accident qui occupe en ce moment tout Paris :
Quelques instans après avoir quitté la station de Bellevue, M. Milhau, un des inspecteur du chemin, monté sur la seconde locomotive, crut s’apercevoir d’un léger affaissement dans le train de derrière de la première locomotive. Il se hâta de donner un coup de sifflet d’avis au mécanicien en chef M. Georges, qui la conduisait lui-même. Celui-ci, tout en serrant le frein, retournait la tête pour voir quel était le motif de ce signal, lorsque l’essieu de la locomotive se brisa, soit que cet événement fût naturel, soit que les roues eussent rencontré un obstacle sur la tête de l’aiguille qui sert à faire passer les wagons sur la voie de traverse. Le malheureux mécanicien fut jeté à plusieurs toises de distance et tué sur le coup. M. Milhau, renversé par le choc, eut une jambe cassée et une épaule démise ; les deux autres mécaniciens de service sur la première locomotive ont été tués.
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du lundi 10 octobre 1842
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Enquête judiciaire sur l’accident du 8 mai. (1)
RAPPORT DES EXPERTS.
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Une pièce importante du procès intenté à la Compagnie du chemin de fer de la rive gauche, comme responsable des suites de l’accident du 8 mai, est venue à notre connaissance ; c’est le rapport des experts nommés par la justice pour rechercher les causes qui ont pu produire cet évènement, et déterminer la part qu’a pu y avoir la négligence des employés de la Compagnie ou l’imprévoyance de ses chefs.
Il résulterait de ce document, dont nous allons donner une analyse succincte mais complète : 1° que l’accident du 8 mai ne doit être attribué à aucune des causes qui avaient été signalées dans les premiers momens ; 2° que l’emploi d’une locomotive à deux essieux n’a exercé aucune influence sur l’accident ; 3° que la rupture des deux essieux de cette machine n’est point due à la mauvaise qualité du fer, ni à une décomposition ou à un déplacement de ses molécules causé par l’ancienneté ou la nature du service, car cette rupture a eu pour cause un choc d’une violence à laquelle rien n’aurait pu résister ; 4° enfin que l’emploi de deux locomotives de forces inégales, la plus faible précédant l’autre, bien loin d’avoir aggravé les suites de l’accident, a servi au contraire à les diminuer autant qu’il était possible.
Voici l’extrait du rapport judiciaire rédigé par M. Lobas, ingénieur, au nom de ses collègues, MM. Cavé et Farcet, constructeur de machines et d’appareils à vapeur :
Le convoi parti de Versailles le 8 mai, à cinq heures et demie, était composé de 17 wagons se déployant sur une longueur totale de 126 mètres 88 centimètres ; il était remorqué par deux machines, la première à deux essieux, le Mathieu Murray, suivi de son tender ; la seconde à trois essieux, l’Éclair, également accompagné de son tender. Le poids total du convoi était d’environ 160 tonnes ; la vitesse inconnue, mais supposée grande ; la pente de 4 millimètres par mètre.
Arrivée au point où la route départementale n° 40 traverse à niveau le rail-way, le convoi fut brusquement arrêté ; la première machine vint se briser, à 25 mètres au-delà, contre le talus qui borde le chemin ; ses deux essieux brisés, la caisse de son tender défoncée et projetée à côté et en arrière. La seconde machine, dont le contact avait brisé le tender de la première, fut elle-même renversée en travers de la voie, couchée sur le flanc, la grille tournée vers le Mathieu Murray. Ces premiers obstacles sont insuffisans pour vaincre la force vive du reste du convoi, qui heurte les locomotives et fait jaillir sur la voie le cook embrasé contenu dans les fourneaux.
Le tender de l’Éclair et le premier wagon sautent par dessus les machines qui obstruent la voie ; le second les choque avec violence, se brise et vient fournir au feu répandu sur le chemin un premier aliment, auquel succède en une seconde cinq autres voitures, aussitôt entourées par les flammes, qui, en quelques minutes, les réduisent en cendres avec tout ce qu’elles renferment…
Tel est l’historique officiel du désastre : tout le monde le connaît ; ce que l’on sait moins, ce sont les causes qui l’ont amené, et qui sont décrites dans le rapport des experts. Leur premier soin a été de constater l’état du matériel et de la voie après l’accident ; nous allons les suivre dans leur examen.
État de la voie.
À l’intérieur (entre les rails), on remarque des rainures sur 15 traverses, de la 17e à la 58e ; elles paraissent dues à l’action d’un corps qui a labouré le sol et déchiré le bois.
À l’extérieur (à gauche du rail), le coussinet correspondant à la 17e traverse a éprouvé un frottement à son sommet : l’angle de celui de la 21e a été brisé, et 12 traverses, de la 19e à la 63e, portent des entailles plus ou moins prononcées ; elles ont évidemment été faites par un corps circulaire en mouvement : leur largeur correspond à l’épaisseur des bourrelets des roues.
Plus loin, au point de jonction de la route départementale pavée avec le chemin de fer, un choc a enlevé une partie du contre-rail, et l’on observe, à partir de ce point, la trace d’une roue qui se dirige vers le talus.
État du Matériel.
Les dégradations du Mathieu Murray, qu’il importe surtout de constater, sont de deux sortes. Les unes, la dislocation générale de l’appareil, ont suivi le choc contre le talus ; tout était alors consommé, et l’on ne saurait en tirer aucune induction ; les autres seules ont guidé les recherches des experts. Les voici telles qu’ils les ont décrites :
L’essieu antérieur du Mathieu Murray s’est brisé en deux points ; les cassures sont nettes, elles annoncent du fer de bonne qualité et n’offrent aucune trace de frottement, ce qui annonce que la rupture a dû être instantanée. Cet essieu a été retrouvé à 74 m. 88 c. de la marque laissée dans le talus du chemin par l’avant du châssis de la locomotive ; la 17e traverse, la première qui porte les traces d’un dérangement dans les premières pièces du convoi, est distante de l’endroit où le Mathieu Murray est venu se briser de 103 m. 50 c. ; la machine avait donc dépassé la 17e traverse de 28 m. 62 c., lorsque son premier essieu s’est rompu. Cette rupture n’a donc pas été la cause de l’accident, mais bien l’une des circonstances qui l’ont accompagné.
L’essieu coudé s’est rompu en un seul point, les aspérités des sections de rupture sont peu émoussées, ce qui indique aussi que la rotation a cessé peu de temps après cette avarie, qui, comme la première, a été une conséquence d’un premier dérangement.
Les deux roues de devant portent des traces prononcées de chocs et de frottemens ; le contour intérieur du bourrelet de l’une d’elles, celle de droite, a été par suite taillée en biseau, le métal a glissé et a fourni des saillies un peu plus loin.
On remarque des traces correspondantes de frottement sur l’arrêté de la boîte à feu. Un des supports horizontaux de la chaudière a été ployé et découpé dans toute sa largeur par un corps circulaire en mouvement. Le chasse-caillou a été brisé.
Enfin le ressort de devant à droite a manqué ; une des branches verticales de la boîte à graisse s’est détachée, et la plaque de garde porte des entailles circulaires.
Conséquences.
Du rapprochement de ces diverses circonstances, les experts tirent les inductions suivantes :
La rupture du ressort de devant à droite est la cause première et unique de l’accident. Cette rupture a déterminé un abaissement du châssis qui supporte l’appareil, abaissement dont les effets ont été ceux-ci :
1°. Briser le chasse-caillou qui ne s’élève qu’à 0 m. 18 c. au dessus du sol ; l’abaissement du châssis étant de 0 m. 45 c.
2°. Faire descendre l’angle de la boîte à feu u niveau du sol qu’elle a labouré en déchirant les traverses à l’intérieur de la voie.
3°. Mettre le support de la chaudière en contact avec le bourrelet de la roue qui l’a coupé.
4°. Faire porter l’une des traverses qui maintiennent l’écartement du châssis sur le dessus de la boîte à graisse, dont l’une des branches verticales a cédé.
5°. Déranger l’équilibre de répartition du poids de l’appareil sur chaque roue, en faisant porter davantage sur celle dont le ressort était cassé ce qui soulevait naturellement la roue correspondante à gauche, et imprimait à l’ensemble un mouvement oscillatoire qui forçait en quelque sorte la machine à dérayer, ce qui malheureusement eut lieu.
6°. Déterminer par suite du déraiement, de violens chocs contre l’essieu antérieur, chaque fois que les roues rencontraient des coussinets ou des traverses, et occasionner ainsi la rupture de l’essieu au ras des moyeux.
7°. Lancer la machine dérayée contre le talus où elle s’est brisée. L’abaissement du châssis d’une locomotive, par suite de la rupture d’un ressort, n’a jamais d’aussi graves résultats que dans le Mathieu Murray ; cela tient à un détail de construction de l’appareil.
Dans les locomotives ordinaires, quel que soit le nombre des roues, peu importe, la plaque de garde ne peut descendre de plus de 0 m. , 07 c. ou 08 ; de telle sorte, qu’une rupture du ressort ne permet ni au support de la chaudière de descendre au niveau de la roue, ni à la boîte à feu de toucher le sol, ni au chasse-caillou de rencontrer les traverses, ni enfin, la charge, de se déplacer d’une manière assez notable pour rendre le dérangement inévitable.
Dans le Mathieu Murray, et dans les machines des mêmes constructeurs, MM. Fenton, Murray et Jackson, le jeu de la plaque de garde est beaucoup plus grand ; il est de 0 m. 285 mil., quatre fois plus que dans les autres. De là est venu tout le mal ; mais, on doit le dire, c’est la première fois que les vices de ce système ont eu des suites aussi graves et aussi déplorables. L’attention de la Compagnie du chemin de fer de la rive gauche n’avait pas été appelée sur cet objet, et elle devait regarder l’usage de cette machine comme parfaitement régulier, car elle avait été examinée plusieurs fois par les ingénieurs du gouvernement, qui autorisaient de même le service des machines semblables sur le chemin de fer de Montpellier à Cette.
Après avoir ainsi déterminé a posteriori les causes de l’accident du 8 mai, les experts examinent l’influence que l’emploi de deux locomotives de forces inégales, la plus faible à l’avant, a pu exercer, tant sur la production de l’accident que sur l’aggravation de ses suites. Ils arrivent à ces conséquences, qui se rapportent parfaitement aux conclusions de l’enquête ouverte en Angleterre sur la même question.
En général, les locomotives sont construites pour marcher seules. Lorsque, pour diminuer les chances de collision, on augmente la force des convois, et que l’emploi de deux locomotives devient nécessaire, il est préférable de se servir de machines de même puissance. En cas d’inégalité de force, la machine la plus faible étant placée devant, peut être poussée par la seconde dans les changements de vitesse et de direction ; mais cet inconvénient est beaucoup moins grave que celui résultant de la combinaison inverses. Dans ce cas, la machine la plus faible étant remorquée, se trouve soumise à un double effort de traction et de réaction beaucoup trop considérable, eu égard aux proportions de sa barre d’attelage.
Spécialement : Le jour de l’accident arrivé sur le chemin de fer de la rive gauche, la position de la locomotive à six roues l’Éclair derrière le Mathieu Murray a diminué la violence du choc au lieu de l’accroître. Aussitôt, en effet, que, par suite de la rupture du ressort, le châssis de cette machine s’est abaissé, le chasse-caillou qu’il portait à l’avant a fait jaillir le sable en déchirant les traverses. Cette circonstance anormale a été remarquée par l’inspecteur du chemin, M. Milhaux, qui était monté sur la seconde locomotive.
Prévoyant un accident, sans en connaître la cause, il voulut en prévenir les suites en donnant aussitôt un coup de sifflet pour signal d’arrêt ; il renversa la marche de l’Éclair, c’est-à-dire fit tourner les roues en sens inverse de la direction suivie, en même temps que les freins étaient serrés partout. Mais la force vive du convoi, jointe à la force propre du Mathieu Murray, furent plus grandes que tous ces obstacles ; les deux locomotives, leurs tenders et sept voitures à la suite, se brisèrent contre eux avant que le reste du convoi fut arrêté. Les experts voient dans cette circonstance la preuve d’une vitesse exagérée.
Tel est le résumé du rapport des experts. Nous ne saurions admettre plusieurs de leurs conclusions, qui ne ressortent aucunement des faits, tels qu’ils se sont passés et de l’état du matériel, tel qu’on peut encore le vérifier aujourd'hui , rien n’a été changé depuis le jour de l’accident. Dans un prochain article nous essaierons de rectifier ces conclusions, de démonter, par des chiffres, que les mêmes effets eussent été produits, la même violence d’effort obtenue, avec une vitesse légale de 40 kilomètres à l’heure.
(1) Nous empruntons cet extrait au Journal des Chemins de fer, qui annonce devoir combattre dans son prochain numéro les conclusions du rapport des experts.
du dimanche 10 décembre 1842
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Tribunal de Police correctionnelle.
(Présidence de M. PERROT DE CHEZELLES.
Audience du 10 décembre.)
Procès du chemin de fer de la rive gauche.
Catastrophe du 8 mai.
Jugement.
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Le tribunal a prononcé aujourd’hui le jugement dont la teneur suit :
« Attendu que, dans le système de précention, la catastrophe du 8 mai serait due aux circonstances et faits suivans :
» Le déraillement et la rupture de l’essieu droit et de l’un des ressorts de la machine le Mathieu-Murray ; l’insuffisance du matériel de la compagnie ; le mauvais état et le système du Mathieu-Muray ; son accouplement avec une autre locomotive de force inégale ; enfin la vitesse excessive imprimée au convoi,
» Faits et circonstances qui seraient imputables aux prévenus ;
» En ce qui concerne le descellement et la rupture de l’essieu droit et du ressort :
» Attendu que ni les experts ni les ingénieurs ou autres témoins, dans leurs dépositions, n’ont pu déterminer d’une manière certaine l’ordre dans lequel se sont opérés ces divers accidens ; que même sur ce point qui a divisé entre eux les hommes de la science, il n’a été émis que des opinions conjecturales : d’où il suit que le tribunal reste dans le doute à cet égard et n’en saurait tirer aucune induction contre les prévenus, quand il est d’ailleurs établi par une constatation unanime des experts et des ingénieurs que le ressort et l’essieu brisé étaient de bon fer, bien confectionnés et susceptibles encore d’un bon service ;
» Sur l’insuffisance du matériel :
» Attendu qu’elle n’a pas été démontrée et que même l’ingénieur chargé par le gouvernement de l’inspection des chemins de fer rend un témoignage favorable sur ce matériel, sur le système et l’état de la machine Mathieu-Murray ;
» Attendu que, d’après les données de la science, au moment de la catastrophe le système de cette locomotive ne saurait être incriminé, et qu’en considérant le Mathieu-Murray dans sa constitution particulière, il n’est pas établi pour le tribunal que cette machine fût réputée mauvaise et présentât des causes de danger, ni qu’elle eût été fatiguée outre mesure par l’administration, ou qu’elle eût dépassé ou même atteint dans la journée du 8 mai la limite du service habituel d’une locomotive ; qu’enfin elle a été achetée d’un fabricant habile et expérimenté, qui en a confectionné beaucoup d’autres en tous points semblable contre lesquelles il ne s’est élevé ni plaintes ni réclamations, et dont l’usage est encore aujourd’hui permis en France et à l’étranger ;
» Attendu, quant au mode d’attelage, qu’il était depuis longtemps en usage, et qu’il ne saurait être imputé aux prévenus, puisque sur ce point les hommes de la science sont encore aujourd'hui divisés ;
» Sur la vitesse excessive :
» Attendu qu’à cet égard les témoignages recueillis manquent de concordance et de précision ; qu’il n’en résulte point preuve suffisante que le convoi ait eu une vitesse de nature à déterminer ou à aggraver l’accident, et qu’au surplus, en supposant même ce dernier point établi, il faudrait rechercher s’il pourrait être reproché aux prévenus, et que sous ce rapport la prévention ne serait point non plus justifiée ;
» Attendu, sur les dommages et intérêts réclamés, qu’il ne peut être statué sur les actions civiles par les tribunaux de police correctionnelle qu’accessoirement à l’action publique ;
» Et qu’aucun délit n’étant constaté, il n’y a point lieu de s’occuper des demandes à cet égard,
» Le tribunal, par ces motifs, renvoie tous les prévenus des fins de la prévention, et condamne les parties civiles aux dépens.
du dimanche 11 décembre 1842
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BOURSE DE PARIS DU 10 DÉCEMBRE.
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La nouvelle de la capitulation de Barcelone est venue raffermir la spéculation, et il s’est fait aujourd'hui beaucoup d’affaires en hausse sur nos Fonds. Les cours de nos Chemins de fer se sont aussi plus ou moins améliorés.
Les Actions du Chemin de fer de Versailles, rive gauche, ont été recherchées depuis que l’on a eu connaissance que l’acquittement judiciaire des directeurs et préposés, à l’occasion de la catastrophe du 8 mai dernier.
…
FIN COURANT. | ||||
CHEMINS DE FER. | ||||
Premier cours. |
Plus haut. |
Plus bas. |
Dernier cours. |
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SAINT-GERMAIN | 845 .. | |||
PARIS À ORLÉANS | 616 25 | 618 75 | 616 25 | 618 75 |
VERSAILLES (r.d.) | 270 .. | |||
VERSAILLES (r.g.) | 87 50 | 100 .. | 87 50 | 100 .. |
STRASBOURG À BÂLE | 205 .. | |||
PARIS À ROUEN | 645 .. | 650 .. | 645 .. | 650 .. |
du mardi 13 décembre 1842
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Nouvelles diverses
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— Le tribunal de police correctionnelle a rendu, dans l’affaire du 8 mai, un jugement qui nous paraît contestable à quelques égards. Non seulement le tribunal a renvoyé les prévenus de la plainte, mais il a condamné les parties civiles aux dépens ; or, ces parties civiles, c’étaient les parens des malheureux qui ont péri ou qui ont été blessés dans cette catastrophe sans nom.
Ce jugement nous surprend d’autant plus que le tribunal s’est montré souvent d’une sévérité rigoureuse envers d’autres entreprises de chemins de fer, pour des accidens tout à fait indépendans de la volonté des compagnies, que l’on ne pouvait pas imputer au défaut de surveillance, et qui étaient infiniment moins graves que celui dont le chemin de la rive gauche a été le théâtre il y a neuf mois.
Nous admettons avec le tribunal le peu de fondement des clameurs qui se sont élevées contre telle ou telle espèce de machine, contre tel ou tel mode d’attelage, contre tel ou tel degré de vitesse. Sur ce point délicat, le jugement est plein de convenance et de vérité. Mais il résultait aussi des débats que les administrateurs de la compagnie, et que le gouvernement lui-même, sans être directement responsables de l’accident, avaient autorisé la circulation sur un chemin de fer non encore achevé, et avait exposé le public à toute espèce d’accidens.
Cette conduite devait donner lieu à des dommages-intérêts que la compagnie aurait répétés ensuite, s’il lui avait plu, contre le gouvernement, en se réfugiant derrière la responsabilité que le gouvernement avait encourue par la réception du chemin.
La leçon aurait été d’autant plus opportune que le chemin de Versailles (rive gauche), reçu depuis deux ans par l’administration, n’est pas encore terminé à l’heure qu’il est ; que l’on y rencontre des talus à pic qui menacent de couvrir la voie de leurs éboulements et que le matériel paraît insuffisant pour le service.
Nous n’ajouterons plus qu’un mot. Les tribunaux anglais viennent de condamner la compagnie de Brighton à 250 liv. st. de dommages-intérêts envers un médecin blessé dans l’accident du 2 octobre 1841, où deux autres personnes perdirent la vie. Le tribunal correctionnel de Paris a condamné aux dépens les victimes de la catastrophe du 8 mai ou leurs parens ; Est-ce à Paris ou à Londres que justice a été faite ? Nous nous en rapportons là-dessus au jugement du public.
(Courrier.)