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LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE II / XI

 

I.

“ La France a été lente, très lente à accepter franchement les chemins de fer ; par un esprit de défiance et de paresse assez difficile à définir, elle en était encore aux hésitations, aux tâtonnements, que déjà l'Angleterre et la Belgique construisaient en hâte et partout des voies ferrées. Comme bien des découvertes, celle de la locomotion par la vapeur s'égara dès le début, et il fallu attendre longtemps avant qu'elle pût franchir l'énorme distance qui sépare la théorie de la pratique. En principe, les chemins de fer sont nés de cette idée fort simple qui déjà dans l'antiquité avait créé les voies romaines : supprimer par des moyens artificiels les causes de résistance que le sol offre à la traction. Depuis des siècles, on se servait en Allemagne, dans les mines du Harz, des chemins à bandes de bois (hundegestœnge) qui facilitaient singulièrement le passage des chariots. Il est à présumer que les ouvriers allemands ont introduit ce système en Angleterre, lorsque la reine Élisabeth les y appela pour exploiter les mines de Newcastle. C'est là du moins qu'en 1676 on constate d'une façon certaine l'emploi dans les houillères anglaises des premiers chemins de bois. Un siècle plus tard, en 1776, l'ingénieur Cun, voyant les traverses de bois s'user rapidement au pesant contact des roues, imagina de les remplacer par des bandes de fer qu'il nomma rails. Ces rails, d'abord plats, n'offraient pas une grande solidité ; on les modifia, et sauf des détails peu importans, on les façonna tels que nous les voyons encore aujourd'hui ; la roue qui devait les parcourir était munie d'un ourlet extérieur débordant qui l'empêchait de dévier. En somme, la voie était trouvée. On hésitait entre la fonte et le fer, et il fallut qu'en 1820 John Birkinshaw découvrît l'art de laminer les rails de fer pour que ces derniers fussent définitivement adoptés.

 

 Restait le moteur à découvrir, et ce ne fut pas l'affaire d'un jour. A cette époque, les wagons étaient traînés par des chevaux comme sur le chemin de fer dit américain qui va de la place de la Concorde à Sèvres. Le premier homme qui tenta d'appliquer la vapeur à la traction des voitures sur les routes ordinaires fut un officier du génie nommé Cugnot, qui fit différens essais à Paris en 1769, et construisit même une machine ingénieuse que l'on peut voir exposée dans l'une des salles du Conservatoire des Arts et Métiers. Destinée au transport des grosses pièces d'artillerie, elle fut expérimentée en présence de MM. de Choiseul et de Gribeauval. Asthmatique et manquant de souffle, elle s'arrêtait fréquemment ; mal pondérée, elle donnait des à-coups inattendus et défonça un des murs de l'Arsenal. Bref, elle ne fut jamais que ce qu'elle est encore, un objet de curiosité. James Watt, le véritable inventeur de la machine à vapeur, c'est-à-dire celui qui la rendit pratique, apporta dans la construction des perfectionnemens dont chacun profita, et dès 1804 une locomotive construite par Trewithick et Vivian fut attelée à des wagons sur un chemin de fer des mines de Newcastle ; elle avait la vitesse d'un cheval de roulage, et le foyer était activé à l'aide de soufflets mis en jeu par les mouvemens même de la machine. Tout cela était embryonnaire. On était parti d'une théorie fausse, qui longtemps paralysa les essais. On croyait que la pesanteur de la locomotive l'immobiliserait et la forcerait à tourner sur place. Pour remédier à cet inconvénient imaginaire, Blenkinsop inventa des roues dentelées, et Brunton alla jusqu'à armer sa locomotive de deux béquilles de fer qui s'élevaient et s'abaissaient à chaque tour de roues. Ce fut en 1813 seulement qu'on revint de cette erreur, grâce aux expériences faites avec succès par Blackett, et l'on reconnut que, si le poids de la locomotive était suffisant pour maintenir l'adhérence sur les rails, il était loin d'être assez considérable pour la rendre stationnaire. Ainsi qu'on le voit, on avançait lentement, pas à pas, à travers mille tentatives dont chacune constituait un progrès, mais n'apportait aux engins de traction ni sécurité ni vitesse.

 

 La France peut réclamer à bon droit sa part de gloire dans la mécanique appliquée aux transports, car ce fut M. Marc Séguin qui, en 1828, inventant la chaudière tubulaire, étendit la surface de chauffe dans des proportions qui devaient donner à la locomotive une force irrésistible. A la même époque, George Stephenson imaginait d'activer le tirage par un jet de vapeur échappée du cylindre. Ces deux améliorations étaient toute une révolution ; on allait enfin entrer dans la pratique, et en cette matière la pratique, c'était l'établissement des chemins de fer, c'est-à-dire une rapidité de locomotion sans exemple, et l'application d'une puissance infatigable aux transports de toute espèce. Aussi, lorsqu'en 1829, au concours des machines ouvert par la compagnie du rail-way de Manchester à Liverpool, George Stephenson exposa la locomotive the Rocket, la Fusée, construite d'après les principes nouveaux de la chaudière tubulaire et de l'accélération du tirage, ce fut un cri d'admiration. Elle était à la fois forte et vite, car, pesant 4,316 kilogrammes, elle faisait 22 kilomètres à l'heure et remorquait un poids de 12,912 kilogrammes. Elle ne ressemblait guère aux admirables machines que chaque jour et sans même y prendre garde nous voyons rouler sur nos voies ferrées : elle était aux locomotives de Crampton ce que l'ichthyosaure est aux lézards ; mais telle qu'elle était, avec ses roues trop écartées, son tender chargé d'une barrique contenant l'eau réservée à la chaudière, elle renfermait les organes principaux, organes de vie, de mouvement, de vigueur, qu'on a pu améliorer depuis, et qui sont restés les organes essentiels et primordiaux de toute machine destinée à la traction. Le moteur et la voie étant trouvés, les chemins de fer étaient inventés. C'était une révolution analogue à celle qui, par la découverte de Gutenberg, avait substitué l'imprimerie à l'art des copistes. Dans sa biographie de James Watt, Arago se sert d'une comparaison saisissante pour faire comprendre à quelle puissance l'homme parvenait, grâce à la machine à vapeur. «L'ascension du Mont-Blanc, dit-il, à partir de la vallée de Chamonix, est considérée à juste titre comme l'œuvre la plus pénible qu'un homme puisse exécuter en deux jours. Ainsi le maximum mécanique dont nous soyons capables en deux fois vingt-quatre heures est mesuré par le transport du poids de notre corps à la hauteur du Mont-Blanc. Ce travail ou l'équivalent, une machine à vapeur l'exécute en brûlant un kilogramme de charbon de terre. Watt a donc établi que la force journalière d'un homme ne dépasse pas celle qui est enfermée dans 500 grammes de houille. » ”

Locomotive de Blenkinsop
Locomotive de Blenkinsop
 
 
 
 
Locomotive de Brunton
Locomotive de Brunton
 
 
 
 
Marc SÉGUIN
Marc Séguin [*]
 
 
 
 
Georges STEPHENSON
"Georges Stephenson,
Ingénieur du chemin de fer de Liverpool à Manchester,
père de Robert" [**]
 
 
 
 
Locomotive the Rocket
Locomotive the Rocket
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