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LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE I / XI

 

“ Pendant longtemps, on ne put voyager en France qu'à pied ou à cheval, et la voiture faisant de longs trajets est une invention relativement moderne. Les premiers coches appartenaient à l'université, dont les messagers, autorisés à se charger du transport de l'argent et des marchandises, étaient primitivement destinés à conduire les écoliers de Paris et à les ramener dans leurs provinces. Ils partaient un peu au hasard, selon les besoins qu'ils avaient à satisfaire, selon le temps qu'il faisait, selon la saison, selon leur fantaisie.

 

En 1571, on voit s'établir entre Paris et Orléans le premier service de carrosses. Henri IV, guidé par Sully, qui semble avoir toujours été préoccupé de mettre les différentes parties de la France en communication permanente les unes avec les autres, institua un surintendant-général des carrosses publics, et le parlement ne dédaigna pas de fixer lui-même le prix des places. En 1610, au moment de la mort du roi, les coches mettaient Paris en relations suivies et régulières avec Orléans, Châlons, Vitry, Château-Thierry et quelques autres villes. Louis XIV, qui voulait que tout en France découlât directement de l'autorité royale, ordonna en 1676 que les divers services de messageries seraient adjoints à la ferme des postes. C'était surcharger cette dernière administration d'un labeur au-dessus de ses forces ; aussi, ne conservant que le transport des dépêches, elle abandonna celui des personnes et des marchandises à différens industriels qui l'acceptèrent à bail débattu. Cet état de choses dura jusqu'en 1775. A cette époque, le roi, réunissant au domaine les concessions précédemment faites, résilia tous les baux et fit créer un service de voitures uniformes pour tout le royaume. Les messageries royales s'établirent rue Notre-Dame-des-Victoires, où elles sont encore ; les diligences qu'elles livrèrent au public furent ces turgotines dont on a tant parlé jadis, et qui semblaient alors le nec plus ultra du comfortable et de la rapidité. Ce fut là en réalité le premier service public régulier, sérieux, responsable, établi en France pour le transport des voyageurs.

 

Modifiée dans sa constitution par les lois du 29 août 1790, du 25 vendémiaire an III, du 9 vendémiaire an VI, cette entreprise s'est sans cesse améliorée ; elle a servi de modèle à ses rivales, qui ne l'ont jamais complètement égalée, et elle a fonctionné avec un succès toujours croissant, mais que la construction des chemins de fer devait arrêter pour toujours. Autour de ces messageries qui, tour à tour et suivant le vent politique qui soufflait, furent royales, nationales, impériales, s'étaient groupées diverses entreprises reliant Paris à la banlieue et à la province. C'étaient les diligences Laffitte et Caillard, les gondoles, les accélérées, les carabas. Les chemins de fer ont mis à néant tous ces véhicules. Quelques-uns cependant ont tenu bon contre la mauvaise fortune et ont voulu protester jusqu'à la fin. Le dernier coucou n'a disparu de Paris qu'en 1861 ; il siégeait place de la Bastille et allait à Vincennes. Son cocher, un vieux cocher d'autrefois, à carrick et à sabots fournis de paille, appelait les voyageurs, les entassait dans sa boîte incommode, en prenait un en lapin, fouettait ses rosses amaigries et partait au petit trot balancé. Il était fier sans doute de son entêtement, car sur la caisse jaune de la voiture on lisait en grosses lettres noires : Au coucou obstiné.

 

Nous qui sommes accoutumés aux merveilleuses rapidités de la vapeur, nous sourions volontiers de ces façons de voyager si désagréables et si lentes. Ces voitures de toute sorte, lourdes et traînantes, étaient cependant bien supérieures à ce qui les avait précédées. Avant elles, les moyens de communication étaient presque nuls. Quand, le 21 août 1715, Louis XIV, après avoir passé une revue à Marly, rentra souffrant du mal qui devait l'emporter, et qu'on lui ordonna les eaux de Bourbon-l'Archambault, on fut obligé d'établir entre cette dernière localité et Versailles des relais pour deux cents chevaux destinés à traîner les six charrettes, payées à 25 livres par jour, qui servaient à voiturer la boisson et les bains du roi. Le bonhomme Buvat raconte dans son très curieux Journal de la Régence qu'à Lyon, Aix, Strasbourg, Bordeaux, au moment des malsaines fureurs d'agiotage de la rue Quincampoix, les «carrosses et autres voitures publiques étaient retenues deux mois d'avance, et que même on agiotait sur le prix des places, tant il y avait d'empressement de tous les côtés pour venir à Paris pour avoir des actions, comme si c'eût été le comble de la fortune la plus assurée.» Lorsqu'en 1721 Mlle de Montpensier épousa le prince des Asturies, elle mit trente jours à franchir les cent quatre-vingt-sept lieues qui séparent Paris de Bayonne. Il est juste de dire qu'elle marcha en gala et s'arrêtait souvent ; mais en 1775 le service régulier des turgotines employait vingt jours, c'est-à-dire quatre cent quatre-vingts heures pour accomplir le même trajet : aujourd'hui il dure exactement seize heures dix minutes, et encore on perd cinquante minutes à Bordeaux. Il y a cent ans, il fallait douze jours pour aller de Paris à Strasbourg, dix pour aller à Lyon, trois pour aller à Rouen. La moyenne du parcours quotidien était de dix lieues ; le soir on s'arrêtait pour faire la nuictée, à toutes les côtes on descendait de voiture pour soulager les chevaux, à toutes les descentes on mettait pied à terre par prudence ; la maréchaussée escortait les diligences par crainte des voleurs, qu'on n'évitait pas toujours. Les chemins de fer, en supprimant la distance, ont doublé la vie de l'homme qui voyage. Ah ! si l'on rendait le bon vieux temps à ceux qui le regrettent sans le connaître, quels cris de détresse on les entendrait pousser ! ”

Carte générale des routes et des chemins de fer de la France (1857)
 
Messageries Laffitte Caillard et Cie vers 1827 par Jean-Victor Adam
Messageries Laffitte Caillard et Cie
vers 1827 par Jean-Victor Adam [*]
 
Le transport du charbon Ancien chariot de roulage d'après Géricault
Le transport du charbon.
Ancien chariot de roulage d'après Géricault [**]
 
Diligence embourbée d'après Jean-Victor Adam
Diligence embourbée d'après Jean-Victor Adam [**]
 
Douane d'après Jean-Victor Adam
Douane d'après Jean-Victor Adam [**]
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