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AUTOUR DE ZARAGOZA • TUNNEL DU SOMPORT

 

TUNNEL INTERNATIONAL DU SOMPORT
TUNNEL INTERNATIONAL DU SOMPORT (7 874 M)
LIGNE 664 PAU - CANFRANC • PK 300
LES FORGES D'ABEL (64) • 42° 49' 03.1" N , 00° 33' 40.7" W
 

> Lu dans “ Le Temps ” du jeudi 19 juillet 1928 (*)

“ ŒUVRE DE PAIX ”

Canfranc : un nom qui sonne clair et net. Un nom heureux et symbolique. C'est celui de la gare internationale où le roi d'Espagne Alphonse XIII et M. Gaston Doumergue, président de la République française, se rencontrent aujourd'hui pour inaugurer la nouvelle ligne transpyrénéenne reliant les deux nations latines. On a dit et redit à cette occasion le mot célèbre de Louis XIV « II n'y a plus de Pyrénées. » Mais l'union conjugale entre familles royales dans le passé n'a jamais diminué les âpres rivalités des monarques. Souhaitons que l'union économique entre les peuples efface, dans l'avenir, les conflits entre eux.

On sait comment fut décidée la création de la ligne qui sera inaugurée demain. C'était en 1904, la France avait comme ministre des affaires étrangères un homme dont l'intelligence était d'une acuité, d'une perspicacité, d'une étendue rares. Delcassé, sur l'esprit duquel l'avenir se dessinait comme sur le miroir du conte arabe, avait en quelque sorte prévu les secrets qui se tenaient cachés encore dans les brumes des destins futurs. Il voulait non pas encercler l'Allemagne — mot inventé par un mégalomane qui, après avoir secoué le monde par ses accès, s'achève dans l'indifférence — mais entourer la France d'un réseau défensif grâce aux autres nations.

Il avait préparé l'Entente cordiale avec l'Angleterre. Il voulut préparer l'entente économique avec l'Espagne. Et de son cerveau inventif surgirent trois projets de pénétration de France en Espagne et d'Espagne en France à travers les Pyrénées. Il fallait jusque-là gagner l'Espagne le long des rives de l'Océan, d'une part, le long des bords de la Méditerranée, d'autre part, à Hendaye et à Port-Bou, là où meurent les Pyrénées. Longs détours et longs retards. Rien pour crever les Pyrénées au centre. Delcassé prépara le traité de 1904, avec un homme auquel la France garde un souvenir reconnaissant, Leon y Castillo, marquis del Muni, qui fut pendant vingt-sept ans ambassadeur d'Espagne en France, notamment sans interruption de 1897 à 1918 et qui, à ce titre, prépara, en 1904, le rapprochement entre les deux pays. M. Barthou était alors ministre des travaux publics. De leur commune collaboration naquirent trois projets destinés à faire passer le rail à trois postes des Pyrénées : à Ax-les-Thermes, à Saint-Girons, à Somport. D'Ax-les-Thermes à Puigcerda, la ligne est presque achevée. Pour atteindre la capitale de cette Cerdagne dont le nom sonore vibre dans les vers de Victor Hugo, elle passe par le col de Puymorens après avoir serpenté dans les gorges ravissantes de Nerens (sic) ; tous ces mots qui font bruire dans leurs syllabes de métal les notes gutturales des dialectes ou des patois pyrénéens.

La ligne de Somport-Canfranc est achevée, c'est celle qu'on inaugure aujourd'hui. Les projets avaient cependant traîné de longues années, tant les œuvres utiles sont lentes à se réaliser. C'est sous l'impulsion du président du conseil, ministre des affaires étrangères Primo de Rivera que les travaux de cette ligne furent enfin achevés. Faut-il ajouter qu'ils trouvèrent en M. Aristide Briand, ministre des affaires étrangères, toujours empressé aux œuvres de paix, en M. André Tardieu, ministre des travaux publics, toujours ouvert aux entreprises réalisatrices, le concours le plus empressé, le plus utile ? Ainsi vingt-quatre ans après la pensée première de Delcassé, la France et l'Espagne vont enfin se trouver reliées par des voies électriques en plein cœur de leur pays.

Au déjeuner donné dans la belle gare de Canfranc, Alphonse XIII, roi d'Espagne, M. Gaston Doumergue, président de la République française, M. André Tardieu, ministre des travaux publics de France, ont prononcé des discours qu'on lira plus, loin. Le toast du roi d'Espagne ira au cœur de la France par son accent qui ajoute aux règles du protocole l'élan personnel d'une sympathie attentive, lorsque le monarque déclare à M. Doumergue « Nous pouvons nous donner la main avec toute la spontanéité et la tendresse que nous dictent les deux peuples que nous avons l'honneur de représenter l'Espagne et la France » et lorsqu'il ajoute que « l'Espagne et la France resserrent chaque jour davantage leurs relations sentimentales, intellectuelles et commerciales ».

De même il y a quelque chose de plus que l'échange de mots protocolaires lorsque M. Doumergue rappelle avec raison qu'il est « l'interprète du peuple français qui n'a pas oublié la sollicitude dont Votre Majesté a entouré ses enfants victimes de la guerre ».

M. André Tardieu a, de son côté, célébré en termes heureux l'œuvre qui vient d'être achevée. Il y a vu la promesse de réalisation des nombreuses entreprises qui restent à faire en matière de travaux publics dans notre pays : « Tâche de reconstruction penchée sur les ruines d'hier, mais tâche aussi de création tournée dans un confiant élan vers les espérances de demain ».

Ainsi l'inauguration de la ligne Somport-Canfranc forge un nouveau chaînon dans l'amitié de l'Espagne et de la France.

Déjà les gouvernements des deux pays ont montré leur mutuel désir et leur égale faculté d'entente en réglant la question si délicate de Tanger. Partout, soit à leurs frontières continentales, soit sur les terrains où leurs intérêts se rencontrent sans jamais se contrarier, leurs affinités de race et le même respect de leur qualités éminentes doivent montrer au monde qu'il n'est pas nécessaire que deux nations soient voisines pour se déchirer et que, dans les temps modernes, il est possible que deux peuples, limitrophes qui s'estiment parviennent à s'unir.

RÉFÉRENCE