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AUTOUR DE ZARAGOZA • URDOS

 

VIADUC D'ARNOUSSE
VIADUC D'ARNOUSSE (60 M)
LIGNE 664 PAU - CANFRANC • PK 296
URDOS (64) • 42° 50' 44.5" N , 00° 32' 59.4" W
 

> Lu dans “ Le Temps ” du jeudi 19 juillet 1928 (*)

“ L’INAUGURATION DU TRANSPYRÉNÉEN ”
(Dépêche de notre envoyé spécial)

Pau, 18 juillet.

“ Le 18 juillet 1928 marquera une date importante dans l’histoire des chemins de fer français. Aujourd’hui, en effet, le président de la République française et le roi d'Espagne vont procéder à l'inauguration de la première percée faite par le rail au travers du massif des Pyrénées, de la voie ferrée qui, par Bedous, les forges d'Abel, le tunnel du Somport, Canfranc et Jaca, va relier directement Pau à Saragosse. Cet événement, dont les conséquences économiques seront grandes pour les deux pays, va être l'occasion d'une imposante manifestation de l'amitié franco-espagnole.

Parti, hier soir, de Paris, le train spécial présidentiel arrive, un peu avant 9 heures, à Pau. Sur le quai de la gare, M. Gaston Doumergue est salué par le préfet des Basses-Pyrénées, M. Mireur, par les sénateurs et députés du département ; MM. Léon Bérard et Catalogne, Lillaz, Ybarnégaray, Lamazou-Betbeder, Minvielle, par le maire de Pau, M. de Lassence, par le général Mittelhauser, commandant le 18e corps. M. Barthou, garde des sceaux, sénateur des Basses-Pyrénées et président, depuis 25 ans, du conseil général de ce département accompagne, on le sait, le chef de l’État.

Le ciel est couvert et la température d'une fraîcheur inespérée.

Après une rapide présentation des autorités locales, le président remonte dans son train en compagnie de MM. Barthou et Tardieu, ministres, des sénateurs et députés du département, des représentants de la Compagnie du Midi, M. Paul, directeur ; M. Tessier, président du conseil d'administration; MM. Pereire et Philippe Verne, administrateurs, et Bonnet, directeur honoraire.

La Compagnie du Midi, en souvenir de l'inauguration du transpyrénéen, a fait frapper une plaquette, œuvre de M. Michelet, représentant la France et l'Espagne unies, enrichies par le travail, et portant cette devise : Ferro pacis conjunctæ. Un exemplaire an vermeil sera remis au roi d'Espagne et au président de la République.

À dix heures, le train présidentiel arrive à Oloron, où il ne s'arrête qu'une minute et il poursuit sa route sur Bedous.

C'est à Bedous, qui était jusqu'à ce jour le terminus de la ligne venant de Pau et d'Oloron, que commence la nouvelle voie transpyrénéenne. Nous en avons, vendredi dernier, conté, l'histoire et donné, la description. Rappelons donc brièvement, que, partant de la gare de Bedous, à 400  mètres d'altitude, le Transpyrénéen escalade, en remontant la vallée du gave d'Aspe, le versant français de la chaîne montagneuse, par Accous, Lescun-Cette-Eygun, Etsaut, Urdos, jusqu'aux Forges d'Abel (cote 1075) ; franchit la frontière sous le col du Somport par un tunnel de 7,875 mètres de longueur dont le point culminant est à la cote 1211 ; sort du souterrain à Canfranc (cote 1194); descend le versant espagnol des Pyrénées en suivant la vallée de l'Aragon et vient se raccorder, à Jaca, à la ligne de Saragosse. Quatorze souterrains, dont les principaux sont le souterrain du Portalet (940 mètres de long), le souterrain hélicoïdal (1,750 mètres de long) et le tunnel de faîte du Somport s'échelonnent sur le tracé français, qui franchit six fois, par des viaducs ou des ponts métalliques, le gave d'Aspe.

En raison de la raideur des rampes du côté français, qui atteignent sur la plus grande partie du parcours 43 millimètres par mètre, la traction des trains jusqu'à la gare internationale de Canfranc se fera par l'électricité : les locomotives sont fournies de courant continu à 1,500 volts par un réseau aérien du système caténaire qu'alimente le circuit à 60,000 volts du réseau général de distribution électrique de la vallée d'Aspe, après sa transformation par les sous-stations de Bedous, d'Urdos et des Forges-d'Abel.

Forges-d'Abel, 18 juillet.

Depuis Oloron, la voie grimpe entre les groupes boisées où s'accrochent les pittoresques maisons béarnaises, les hautes parois rocheuses des Pyrénées plaquées de neige, encapuchonnées de brume fermant le paysage. En bas, le gave d'Aspe cascade sur les rochers. Le ciel se découvre, mais le soleil légèrement voilé encore est très supportable.

Au delà de Bedous et surtout d'Estaut et d'Urdos, la rampe s'accentue et les deux locomotives attelées au train le remorquent avec quelque peine. On atteint ainsi les Forges-d'Abel, tête française du tunnel du Somport.

À 11 h. 30, le train présidentiel, pavoisé aux couleurs espagnoles et françaises, sort du long souterrain : c'est Canfranc, gare internationale. La gare de Canfranc est un immense et magnifique monument, long de 260 mètres, paré de guirlandes de verdure reliant des écussons aux armes d'Espagne et au chiffre de la République française, entourés de drapeaux français et espagnols. Le roi en tenue de campagne de général d'infanterie avec la plaque de la Légion d'honneur, était arrivé sur le quai de la gare de Canfranc un quart d'heure avant le train présidentiel. Il passe en revue la compagnie d'honneur du régiment d'infanterie de la Palma et dont la musique joue l'hymne royal. Le roi est accompagné, notamment, par le général Primo de Rivera, président du conseil ; le comte de Guadalhorce, ministre des travaux publics ; le comte de Miranda, grand-maître du palais ; le général Berenguer, chef du cabinet militaire du roi, l'archevêque de Saragosse, l'ambassadeur de France à Madrid.

Une musique militaire joue la Marseillaise, que le roi écoute, immobile, la main à la visière de sa casquette. Les soldats, en tenue kaki, coiffés d'un béret orné d'un pompon vert, présentent les armes. Le wagon-salon s'arrête devant le roi. M. Doumergue, en jaquette, ayant à la boutonnière la rosette de la Toison d'or, est accueilli par Alphonse XIII, qui lui serre longuement la main. Le roi présente les personnes de sa suite au président qui lui présente les personnalités qui l'accompagnent ; puis M. Doumergue, que le roi suit à quelques pas, passe en revue la compagnie d'honneur ; celle-ci défile ensuite devant le président, à la droite de qui se tient le roi.

La réception est terminée. Le roi conduit le président dans la salle aménagée pour le déjeuner, splendidement décorée de fleurs, de feuillages et de drapeaux des deux nations. Le roi et le président s'entretiennent dans un salon réservé, en même temps que, dans un autre salon, MM. Barthou et Tardieu confèrent avec le général Primo de Rivera et le comte de Guadalhorce, en présence des deux ambassadeurs de France à Madrid et d'Espagne à Paris.

TOAST DU ROI D'ESPAGNE

À la fin du déjeuner, le roi porte le toast suivant :

Monsieur le président,

Les difficultés et les obstacles qui, pour des causes bien douloureuses et justifiées, ont retardé le couronnement de l’œuvre que nous inaugurons aujourd'hui, ayant été surmontés, le jour est enfin arrivé où Votre Excellence et moi pouvons, sous le tunnel à travers lequel a été établie cette nouvelle voie de communications, nous donner la. main avec toute la spontanéité et la tendresse que nous dictent les sentiments des deux peuples que nous avons l’honneur de représenter l'Espagne et la France.

Cet événement se réalise en des jours de paix et de prospérité pour les deux pays qui, unis dans une étroite collaboration logique et cordiale devant le problème difficile du protectorat marocain, ont enfin trouvé le moyen de le résoudre au profit de ce pays et de l'humanité tout entière, qui ne peut se montrer indifférente au développement et au progrès des principes universels de civilisation accessibles à toutes les races et à toutes les religions.

D'autre part, l'Espagne et la France resserrent chaque jour davantage leurs relations sentimentales, intellectuelles et commerciales et il est tout naturel qu'elles cherchent à intensifier de la même manière leurs communications terrestres que cette nouvelle voie rend plus faciles et plus fréquentes.

La France est républicaine et l'Espagne est monarchiste. La première est constitutionnelle et parlementaire, la seconde, après avoir momentanément suspendu ces principes, s'applique à rechercher les moyens de les rétablir, en en supprimant les erreurs et les défauts qu'une longue et dure expérience nous a révélés ; mais ces deux pays sont les paladins des postulats qu'impose la conscience universelle : l'amour de la paix, l'égalité devant la loi, le respect du droit et la solidarité humaine.

C'est pourquoi, monsieur le président, en vertu des droits constitutionnels et de l'amour et de la confiance que l'Espagne a en moi, je suis fier de représenter à cette cérémonie un peuple grand par son histoire et sa noblesse, sa culture et son esprit moderne, et c'est en son nom et avec l'assentiment du chef de mon gouvernement que je salue en vous, monsieur le président, le représentant de la France, guide glorieux des peuples, dans laquelle nous voyons toujours la nation amie et fidèle et avec laquelle nous ne cesserons de communier dans les mêmes sentiments.

J'adresse en même temps qu'à Votre Excellence mon salut le plus cordial et mes félicitations les plus sincères au gouvernement qui vous assiste dans les difficiles fonctions de votre charge, aux ingénieurs et aux ouvriers qui ont apporté dans la réalisation de cette œuvre leur science et leur travail et aux porte-parole de l'opinion publique qui, en faisant connaître des événements de ce genre, contribuent à accroître la confiance de l'humanité en elle-même et à créer entre les hommes des nouveaux liens d'amitié. Je lève mon verre, monsieur le président, à la nation française et à Votre Excellence.

RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

La musique d'infanterie joue la Marseillaise. Puis M. Doumergue prend la parole :

Sire,

Je suis profondément touché des termes chaleureux et émouvants par lesquels Votre Majesté a exprimé les sentiments qui l'animent, au moment où une inauguration solennelle ouvre au trafic cette voie internationale qui sera comme un nouveau trait d'union entre la France et l'Espagne.

Il y a bien longtemps, certes, que cette barrière des Pyrénées, réputée jadis infranchissable, a été vaincue par l'attraction mutuelle de peuples voisins, issus d'un même sang, imprégnés d'une même culture et pareillement épris de progrès. Mais les rails, que l'art des ingénieurs et le travail patient des ouvriers ont su faire cheminer à travers le granit et au-dessus des abîmes, offrent comme un symbole des efforts que poursuivent pour s'unir davantage et créer entre elles des liens plus étroits, les deux grandes nations que nous avons l'honneur de représenter.

Sur le terrain économique et commercial, leurs rapports doivent de toute évidence prendre un développement toujours plus large, malgré les difficultés que peut susciter parfois l'opposition des intérêts et dont doivent parvenir à triompher l'équité et la bonne entente des gouvernements.

Au Maroc, les deux pays, conscients de la nécessité d'une constante coopération, ont, à l'heure du péril, uni leurs armes pour la victoire. C'est dans le même esprit de confiante collaboration qu'ils concertent aujourd'hui l'examen des problèmes de la paix, d'accord pour pratiquer une politique de tolérance et de progrès qui est le meilleur gage de succès de leur œuvre civilisatrice.

Mais parmi toutes les raisons que peuvent avoir les deux peuples de s'apprécier et de se mieux comprendre, il n'en est pas sans doute de plus puissante que leur attachement à cet idéal pacifique, à cet esprit de solidarité humaine que Votre Majesté a évoqués dans une langue si éloquente et avec un accent si sincère.

Dans la tâche qu’elle s'est assignée de défendre toujours la paix, la justice et le droit, la France est heureuse de fière de trouver l'Espagne à ses côtés et de rencontrer l'appui loyal du gouvernement espagnol et de ses représentants.

Interprète du peuple français qui n'a pas oublié la sollicitude dont Votre Majesté a entouré ses enfants victimes de la guerre, je salue aujourd'hui le souverain dont le règne reste lié à une période de bonheur et de prospérité pour l'Espagne ; je salue le chef et les membres du gouvernement, auxiliaires éclairés et dévoués de Votre Majesté, ainsi que la noble nation espagnole à laquelle je tiens à renouveler ici l'assurance de ma fidèle affection.

Je remercie Votre Majesté d'avoir associé à ses félicitations les techniciens et les ouvriers qui ont collaboré à la construction du nouveau transpyrénéen, ainsi que les représentants de la presse des deux pays.

Au nom de la France, j'adresse mon plus cordial hommage à ceux qui, venus de toutes les parties de l'Espagne et notamment de cette vieille et héroïque province dont nous foulons le sol, ont apporté leur concours à la réalisation de l'œuvre commune.

Je lève mon verre à Votre Majesté, à la famille royale et à la nation espagnole.

La musique joue l'hymne royal espagnol. Après les toasts, le roi, le président et leur suite quittent la salle du déjeuner et visitent la gare de Canfranc. Le roi Alphonse XIII a exprimé le désir d'effectuer la traversée du tunnel qui relie la France à l'Espagne. Il prend place dans le wagon du président de la République et le train présidentiel quitte Canfranc. Les troupes espagnoles rendent les honneurs, comme à l'arrivée, la musique exécutant la Marseillaise et l'hymne royal.

Une salle a été aménagée à la gare des Forges-d'Abel Le président y conduit le souverain. Un lunch est servi. Le roi et le président manifestent de nouveau, en- quelques paroles, leur satisfaction de cette journée mémorable. C'est le moment des adieux. Le roi prend congé du président et rentre en Espagne.

Après le départ du souverain, M. André Tardieu, ministre des travaux publics, présente à M. Doumergue les personnes ayant pris part à la construction du transpyrénéen. Il prononce le discours suivant :

DISCOURS DE M. ANDRÉ TARDIEU MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS

Monsieur le président de la République,

Vous avez consacré, tout à l'heure, avec S. M. le roi d'Espagne, la mise en œuvre d'un élément nouveau, — et de grande portée — de l'amitié franco-espagnole. J'ai maintenant l'agréable devoir de vous présenter les bons ouvriers de cette œuvre grandiose et de retracer l'histoire de leur effort.

Les Pyrénées étaient jusqu'ici une barrière, que les communications entre peuples tournaient; à ses extrémités. Désormais, la ligne droite sera entre eux, comme partout, le plus court chemin.

Voilà plus, d'un demi-siècle que les études ont commencé.Voilà vingt ans que mon collègue et ami Louis Barthou, qui a voué aux lignes transpyrénéennes un si tenace et heureux effort, a fait ratifier par les Chambres françaises, comme ministre des travaux publics, la convention franco-espagnole de 1904, qui a donné à ces lignes leur charte internationale. En dépit des drames qui ont secoué le monde, le premier résultat est devant nous. La ligne Ax-les-Thermes-Ripoll sera terminée l'an prochain. Nous poursuivrons sans défaillance celle de Saint-Girons à Lerida. Dès maintenant, les relations entre la France et l'Espagne sont facilités par d'appréciables économies de parcours : 26 kilomètres gagnés entre Paris et Madrid, 65 kilomètres entre Paris et Saragosse, et 140 kilomètres entre Pau et Madrid, 179 kilomètres entre Pau et Saragosse. Ce fut un long et dur travail, qui a exigé beaucoup de patience, de science et d'esprit de sacrifice.

Vous comprendrez que mon salut aille d'abord à ceux qui en ont connu le danger, au personnel ouvrier, qui en a assuré l'exécution, souvent au péril de sa vie. Je salue également les membres du corps des ponts et chaussées qui ont dirigé les travaux et qui me sauront gré, ne pouvant les nommer tous, d'évoquer devant vous la mémoire de leur illustre animateur Jules Lax qu'une mort prématurée a privé du juste honneur d'être aujourd'hui à vos côtés.

La Compagnie du Midi et son éminent directeur, M. Paul, les entrepreneurs, les constructeurs qui ont triomphé de toutes les difficultés et assuré le succès, méritent aussi la reconnaissance, dont je leur apporte ici le tribut.

La France, en 1928 et en 1929, pourra célébrer l'achèvement de trois grandes lignes internationales, les deux Transpyrénéens et le Nice-Coni. Les unes et les autres, qui resserreront ses liens avec des peuples amis, témoignent de sa volonté créatrice et de sa capacité d'aboutir. Pour ne parler que de la région où nous sommes, j'ai le droit d'ajouter que le vaste programme d'électrification conçu et réalisé par la Compagnie du Midi est une preuve de plus de ce que la France peut produire, lorsqu'elle sait associer, pour se mieux outiller, les pouvoirs publics et l'initiative privée.

Mon métier de ministre consiste à faciliter ou à provoquer de telles associations. Qu'il s'agisse de nos chemins de fer, de nos ports ou de notre production d'énergie, j'ai le droit de me féliciter de l'esprit d'entreprise et de progrès, que je rencontre presque toujours au service du plan d'ensemble dressé par le gouvernement.

Les disciplines rigoureuses qu'impose le redressement financier n'ont pas ralenti notre labeur. Nous y trouvons la promesse de larges moissons à engranger. Et nous y trouvons aussi, pour notre génération, qui fut celle de la guerre et celle de l'après-guerre, la certitude d'avoir rempli de son mieux, pour le bien de celles qui la suivront, une tâche ingrate et malaisée ; tâche de reconstruction penchée sur les ruines d'hier, mais tâche aussi de création, tournée dans un confiant élan, vers les espérances de demain.

Le président de la République a félicité tous ceux qui avaient pris part à la réalisation du transpyrénéen. Il est ensuite monté en automobile pour Bedous et Oloron, où il s'est arrêté quelques minutes. À 18 h. 20, il a repris à Oloron son train spécial qui l'amènera à Paris demain matin à 8 h. 45. ”

 

> Lu dans “ Le Temps ” du vendredi 20 juillet 1928 (*)

“ LE VOYAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
L'inauguration du Transpyrénéen ”
(Dépêche de notre envoyé spécial)

Nous avons pu donner dès hier un compte rendu complet de la cérémonie d'inauguration du chemin de fer transpyrénéen qui relie Pau à Saragosse sous le col de Somport. Mais en raison de l'heure tardive, nous avons dû abréger certains détails sur quoi il y a lieu de revenir. Au déjeuner que le roi d'Espagne a offert au président de la République dans un des halls de la grandiose gare internationale de Canfranc, Alphonse XIII avait à sa droite M. Doumergue, le général Primo de Rivera et M. André Tardieu, à sa gauche M. Barthou. Les deux toasts — le roi s'est exprimé en espagnol — ont été écoutés debout. La péroraison de chacun des deux discours a été chaleureusement applaudie, et en outre l'allusion reconnaissante faite par M. Doumergue aux services que le roi d'Espagne rendit pendant la guerre aux familles des soldats français a provoqué une longue ovation.

Après le déjeuner, le roi, le président et leur suite ont assisté à une expérience de remplacement des essieux d'un wagon passant de la voie française à la voie espagnole plus large. Cette petite démonstration a été marquée par un incident assez piquant. Alphonse XIII s'approche d'un des mécaniciens, en tenue de travail, passe son bras sous le sien et le conduit à M. Doumergue « J'ai l'honneur, dit-il, de vous présenter mon ami le duc de Saragosse, grand d'Espagne, dont le vice est de conduire des locomotives. » Et les photographes de multiplier les épreuves de cette scène.

De Canfranc, le train présidentiel, où avaient pris place le souverain espagnol et les personnalités de sa suite, repartit pour les Forges-d'Abel, tête française du tunnel de Somport, qui fut ainsi inauguré officiellement dans l'un et l'autre sens.

Sur le quai de la gare des Forges-d'Abel, une compagnie d'infanterie avec le drapeau et le 36e groupe d'aviation rendent les honneurs. La musique joue l'hymne royal espagnol puis la Marseillaise. Le roi, précédé par M. de Fouquières, introducteur des ambassadeurs, passe en revue les troupes, s'inclinant longuement devant le drapeau et interrogeant sur ses campagnes un officier porteur de nombreuses décorations. Les troupes défilent ensuite devant le roi et le président, pendant que tonne la salve de 101 coups de canon.

Une tente a été installée où le souverain est conduit par M. Doumergue. Alphonse XIII demande un verre d'orangeade. M. Doumergue également. Et ils se félicitent de nouveau de cette belle journée. Se tournant vers M. Barthou « Je bois, lui dit le roi, à votre santé, au nom de notre vieille amitié. Ce ne sont pas des phrases que j'improvise pour la circonstance ; elles sont écrites depuis 24 ans pour le rôle que vous avez joué dans la réalisation de l'œuvre que nous inaugurons aujourd'hui. »

Après une nouvelle revue de la compagnie d'honneur, Alphonse XIII prend congé du président et des ministres ; il prie M. Barthou de transmettre son amical souvenir à MM. Poincaré et Briand ; et aux cris de « Vive la France ! Vive l'Espagne ! » il monte dans le train qui va le ramener en terre espagnole.

C’est après le départ du roi que M. Tardieu a présenté, en un discours que nous avons donné hier, les personnes qui ont pris part à la construction du Transpyrénéen.

Mon cher ministre, répond M. Doumergue, je me félicite de cette journée qui consacre un effort remarquable de notre pays et qui nous a permis de nous rencontrer avec le souverain d'un pays voisin auquel nous lient tant de souvenirs et dans un passé récent une action commune considérable pour la grandeur de l'un et l'autre pays. Le succès obtenu dans la circonstance me fait bien augurer des autres entreprises. Une fois de plus la France aura montré que malgré les souffrances, malgré les blessures, elle ne s'arrêtait jamais dans la voie du progrès moral, du progrès matériel : nous en avons aujourd'hui une double preuve. Je m'associe aux paroles de félicitation que vous avez adressées à tous les collaborateurs et ouvriers de cette œuvre ; du plus grand au plus petit, j'adresse à tous mes compliments personnels et ceux du gouvernement de la République.

Le retour du président à Oloron se fait en automobile par une merveilleuse route en lacets à travers les gorges de la vallée d'Aspe. Tous les villages que va traverser la voiture où M. Barthou a pris place à côté de M. Doumergue sont pavoisés et parés de verdure. Des banderoles portent les inscriptions maintes fois répétées « Vive la République ! Vive Doumergue ! Vive Barthou ! France-Espagne ! » Des jeunes gens, dans le somptueux et pittoresque costume de la vallée d'Ossau, font escorte au cortège présidentiel.

Et l'on arrive ainsi à Oloron, ville natale de M. Barthou et chef-lieu de l'arrondissement qu'il représenta à la Chambre avant d'être élu sénateur. Dans les rues, aux fenêtres, aux balcons des vieilles maisons béarnaises la foule immense prodigue ses ovations. Dans la halle centrale, où le conseil municipal est réuni, le maire d'Oloron remercie le président et les ministres. M. Barthou prend ensuite la parole ; avec émotion et chaleur il s'exprime ainsi :

Monsieur le président, c'est pour moi à la fois un très grand honneur et un très grand plaisir de vous saluer aujourd'hui. Cette réunion me rappelle le temps déjà très lointain où, en 1889, je promettais dans cette salle que la ligne Oloron-Canfranc ferait l'objet de mes plus constantes préoccupations. J'avais fait cette promesse. Je l'ai tenue à travers des obstacles que je ne veux pas rappeler en ce jour. Mais il ne m'est pas possible de ne pas vous dire dans cette ville où je suis né que depuis 1889, à travers toutes les vicissitudes de la politique, à travers toutes les contradictions des partis, j'ai eu la bonne fortune de toujours réunir la majorité des électeurs.

Cette cité est profondément républicaine. Elle n'a jamais connu de défaillance. Tout à l'heure, quand nous montions derrière vous sur cette estrade, j'ai entendu dire : « Les ministres à droite !» J'ai compris, nous avons tous compris que c'était là une recommandation purement protocolaire, sans signification politique.

La vie m'a permis de réaliser mes promesses. Nous sortons d'une cérémonie où, grâce à vous, grâce au roi d'Espagne, nous venons d'affirmer de nouveau solennellement les liens de solidarité et d'amitié qui unissent les deux pays. Mais en 1889, je n'aurais pas osé faire la promesse que le président de la République viendrait à Oloron même apporter le témoignage d'une bienveillance dont il m'a prodigué tant de marques depuis vingt-cinq ans. C'est la preuve que nous tenons nos promesses et mieux que nos promesses. J'avais promis l'inauguration du Transpyrénéen. Je n'avais pas promis le président de la République. Du fond du cœur je vous dis respectueusement et, si vous me permettez d'employer ce mot, je vous dis amicalement « Merci ! »

M. Doumergue répond :

Cette journée marquera une date dans la haute magistrature que j'ai l'honneur d'exercer. Nous venons d'inaugurer, il y a quelques heures, une ligné qui est destinée à rapprocher encore davantage deux grands pays qui ont de nombreux intérêts communs et qu'un même amour de la paix unit étroitement dans son intimité, car l'inauguration a été très intime, cette cérémonie a eu infiniment de grandeur. Les paroles du roi Alphonse XIII au président de la République ont été à son cœur, elles iront également au cœur de tous les Français ; ces paroles révélaient ce que nous savions : son profond amour pour notre pays et son ardent désir de voir se nouer entre nos deux nations des liens toujours plus forts. Je me suis rendu compte que la route qui vient de traverser les Pyrénées était dans les vœux des deux pays. En remontant cette belle vallée d'Aspe, en voyant dans chaque village, sur chaque maison, amicalement unies, les couleurs françaises et espagnoles, j'ai compris combien cette œuvre répondait aux vœux de vos populations et était également dans les intérêts et dans les vœux des deux pays. Certes, les efforts de mon vieil et fidèle ami Louis Barthou, ami de trente ans, ont grandement contribué à l'exécution de cette voie nouvelle qui ne sera pas la seule, mais le pays tout entier s'y est intéressé, car la France a le sens des intérêts économiques.

La France tout entière s'associera aux fêtes d'aujourd'hui. Ma descente en automobile des Forges-d'Abel à Oloron a été un véritable ravissement. Les présidents de la République sont des hommes sensibles et n'échappent pas à l'émotion que leur inspirent des manifestations aussi spontanées et aussi douces. Dans votre ville d'Oloron, je suis accueilli par des populations frémissantes de joie. C'est que vos jeunes filles, vos enfants des écoles qui agitèrent les trois couleurs de notre drapeau si gracieusement ont compris que ce n'était pas seulement une journée de joie et de liberté pour eux, mais qu'elle marquait une date importante dans l'histoire de leur pays. Pour moi je ne pouvais pas espérer plus réconfortante conclusion des cérémonies d'aujourd'hui. Je ne trouve pas d'autres mots pour vous dire ma reconnaissance que le merci d'un bon Français, d'un bon républicain. uniquement dévoué aux intérêts du pays, qui considère tous ses habitants comme des citoyens auxquels il doit également son amitié, son encouragement et son concours s'ils veulent bien le lui demander.

Des applaudissements répétés saluent ces deux allocutions.

À pied, suivis par la foule qui leur fait une escorte enthousiaste, le président de la République et les ministres gagnent la gare d'Oloron, où attend le train spécial.

Le président de la République était de retour à Paris ce matin à 8 h. 40. Il a été reçu à son arrivée, à la gare d'Orsay, par M. Poincaré et les membres du gouvernement. — A. P.

LE TOAST DU ROI

Alphonse XIII a prononcé en espagnol le toast qu'il a porté à l'issue du déjeuner offert au président de la République à Canfranc. Après le déjeuner on distribua, imprimés, le texte espagnol du toast royal et la traduction officielle en français. Comme cette traduction diffère assez sensiblement de celle qui fut donnée à Paris et que nous avons publiée hier, il nous semble utile de reproduire aujourd'hui la version française établie par les soins du gouvernement espagnol. La voici :

Monsieur le président,

Une fois heureusement surmontés les difficultés el les obstacles qui, par des causes bien douloureuses et justifiées, ont retardé le couronnement de l'œuvre que nous inaugurons aujourd'hui, le jour est arrivé où Votre Excellence et moi nous pouvons, sous la voûte du tunnel à travers lequel cette nouvelle voie de communication a été posée, nous donner la main aussi effusivement (efusivamente) que l'imposent les sentiments des peuples que nous avons l'honneur de représenter : l'Espagne et la France.

Et un tel fait s'accomplit en des jours de paix et de prospérité pour les deux pays, lesquels, unis dans un effort logique et cordial de collaboration en présence des difficiles problèmes du protectorat du Maroc, ont trouvé, finalement, le moyen de les résoudre, au profit de ce pays et de toute l'humanité, qui ne peut pas se montrer indifférente au progrès et au développement des principes universels de civilisation accessibles à toutes les races et à toutes les religions.

D'autre part l'Espagne et la France resserrent chaque jour davantage leurs relations sentimentales, de culture et de commerce, et il est naturel qu'elles tâchent d'intensifier de même leurs communications, que cette nouvelle voie vient rendre plus faciles et plus fréquentes. La France, républicaine, et l'Espagne, monarchique ; constitutionnelle et parlementaire la première, ces principes suspendus pour la seconde, qui cherche avec empressement des modalités pour en rétablir l'application, épurée des erreurs et des défauts qu'une longue et amère expérience a fait ressortir chez nous ; champions, l'un et l'autre pays, des postulats que la conscience universelle impose : l'amour de la paix; l'égalité devant la loi ; le respect du droit et la solidarité humaine.

Je suis donc fier, monsieur le président, de représenter en cet acte, par droit constitutionnel et par l'amour et la confiance de l'Espagne, un peuple grand par son histoire et par sa noblesse, cultivé et moderne. En son nom et avec le contreseing (refrendo) du chef de mon gouvernement, je salue en Votre Excellence le représentant de la France, guide glorieux des peuples en laquelle nous voulons continuer à voir la nation amie et fidèle dont les sentiments trouveront chez nous la plus sincère correspondance.

En adressant à Votre Excellence mes félicitations et mes salutations, je les adresse aussi au gouvernement qui vous assiste dans les difficiles fonctions du pouvoir, aux techniciens et aux ouvriers qui ont apporté leur science et leur travail à l'exécution de cette œuvre ainsi qu'aux porte-voix de l'opinion publique, lesquels, en répandant la chronique d'événements comme celui auquel nous assistons, contribuent à ce que l'humanité raffermisse sa propre estimation et qu'elle étende et intensifie l'amour entre les humains.

Je lève mon verre, monsieur le président, à la prospérité de la nation française et au bonheur personnel de Votre Excellence.

RÉFÉRENCE