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REVUE DE PRESSE • 1939-1940 • SEPTEMBRE 1939

PARIS-SOIR • 3 SEPTEMBRE 1939 • 2 SEPTEMBRE 0 HEURE par Pierre Scize

Édition du 3 septembre 1939

2 Septembre 0 heure
par Pierre Scize

“ Cela s'annonce par douze coups frappés aux horloges des monuments publics, aux cloches des églises, les fameux « douze coups de zéro heure » dont parlent les humoristes.

Mais ceux-là, ceux de cette nuit, qui donc a pu les entendre sans avoir le cœur serré ? Ils séparaient deux mondes.

D'un côté la paix, une paix précaire, menacée, bonne cependant, précieuse, pleine à croquer de petits bonheurs, de menus plaisirs. De l'autre un temps peu sûr, plein de traîtrises, d'embûches, de dangers, de souffrances : le temps de guerre.

Ce « zéro heure » du 2 septembre 1939, comme on s'en souviendra !... Il est tombé sur une France, bleue de clair de lune, qu'un grand ciel sans nuages abritait comme une veilleuse, sur un Paris obscur et mystérieux, tout frémissant d'un énorme bruit de moteurs roulant vers les gares, tout scintillant de l'éclair avertisseur des phares vite éteints, tout bruissant d'un murmure d'adieux.

L'exode

Depuis des heures, on ne trouvait plus un taxi libre, sinon par miracle. Les gros pères autobus s'étaient raréfiés, comme il arrivait aussi aux familles d'humains, quand les jeunes vont, là où ils ont à faire, et qu'on n'est plus que deux ou trois pour assurer le travail. Le métro transportait sous ses entrailles de Léviathan des grappes de voyageurs. On y admettait des malles, des bicyclettes, des voitures d'enfants, des matelas. Payait qui voulait. Les employés aux portillons acceptaient la plus simple excuse :

— Allez-y ! Passez !

On passait. On allait. Des partants par les rues, par les places allaient à pied, traînant des valises, les déposant pour souffler, s'asseyant dessus :

— Attends-moi là ! Je vais aux nouvelles.

Et un gosse de sept ans, grave comme un veilleur au rempart, veillait sur les trésors domestiques. La rue de Lyon était noire de voitures. Le Quai d'Orsay se congestionnait, refluait sur les ponts, sur la rive droite, sur le boulevard Saint-Germain. Il y avait des gens campant sur leurs bagages rue de Lille, devant l'ambassade d'Allemagne.

Plus de fleurs au fusil

Ah ! non, ça n'était pas l'autre mobilisation, celle d'il y a tout juste vingt-cinq ans et un mois, l'allègre, la cocardière, la coquericante mobilisation de 14.

Pas de chants, pas de fleurs au fusil, pas de. cris : « À Berlin ! », pas d'inscriptions sur les wagons, pas de fier-à-bras de carrefour vitupérant les « Alboches », pas de rondes autour du moindre soldat pour lui offrir un verre, un cigare, un paquet de vivres : « Et, en pour, tu me rapporteras la peau de Guillaume ! ».

Non. Rien de pareil. Quelque chose de bien plus saisissant, de bien moins fanfaron, de dur, de buté, de furieux, de farouche. Des dents serrées. Des regards aigus. Quelque chose de décidé dans l'allure, de pressé, de tendu, qui disait :

— C'est comme ça ! On ne peut pas être heureux vingt-cinq ans, avec ces cocos-là ? Ça va ! Compris. Mais cette fois, ça sera « méchant ». Faudra aller au tapis, et « pour le compte... »

Pourquoi taire ceci, qui est à l'honneur des Français d'aujourd'hui : une tristesse furieuse était dans tous les cœurs. Plus de ces gaîtés sacrilèges de jadis. Une peine qui marque avec évidence un propres magnifique sur le viril esprit des guerres « fraîches et joyeuses » ! On sait que ce sera chaud et lugubre. On n'en fait pas moins ce qu'il faut. Tout ce qu'il faut. Mais qu'on ne nous demande pas de chanter La Madelon par-dessus le marché, Elle n'est pas dans le coup. C'est une affaire d'hommes : au finish...

Cette gravité, cette colère me semblent plus redoutables cent fois que les déclamations de naguère...

Les gares

Paris a senti battre dans ses artères, et affluer vers ses cœurs tumultueux que sont ses gares, son sang le plus pur.

Toutes celles par où l'on arrive, par où l'on part. À Montparnasse, une foule dense, où se voyaient beaucoup de femmes et de vieux, avec des bébés plein les bras, s'engouffrait dans les escaliers et avançait d'un bloc, comme si ces milliers d'êtres étaient les anneaux d'un même corps.

Canalisés par de puissants gardes mobiles, casqués, sanglés, paternels, dirigés par la voix monstrueuse des haut-parleurs, ils serraient contre eux leurs bagages, et interrogeaient, ingénument : « Mais ous'qu'on prend les billets ? » Race admirable qui ne comprend pas qu'aujourd'hui « c'est à l'œil », qui s'obstine à fuir la guerre, son pauvre argent au bout des doigts devant les guichets fermés, qui, sur la place de Rennes, court après les rares garçon des bars en disant : « M'sieu ! la petite a cassé un verre : combien qu'on vous doit ? » L'honnêteté de ce peuple tant calomnié !

À Saint-Lazare, l'exode vers les banlieues se fait comme à l'accoutumée. Mais on s'inquiète. De quoi ? De savoir si l'on pourra revenir demain à Paris, pour travailler...

Gare du Nord, des gens campent sur leurs bagages dans le hall, gens qui traversent Paris, qui reviennent de vacances, qui ont ficelé sur la valise la raquette de tennis, la canne du marcheur... À l'Est, le train des villes d'eaux dépose sur les quais, pêle-mêle avec les voyageurs, un prodigieux amoncellement de bagages de toutes sortes. Cela sent le loisir interrompu, la cure arrêtée. On porte en bandoulière, dans un étui d'osier, le gobelet gradué dans lequel on a bu le dernier verre d'eau, ce matin même. Un couvent de sœurs noires passe, effaré. Elles viennent de Metz... Évacuées...

Mais, gare de l'Est on part aussi. Les trains pour Strasbourg, Forbach emmènent, emplis jusqu'aux châssis des fenêtres, de jeunes hommes qui montent vers la frontière. Des femmes sont là, que poignarde la séparation. Que de baisers on échange ! J'en vois une qui a posé son visage sur la poitrine de son soldat,, qui ne dit rien et qui écoute longuement les yeux brillants le bruit de ce cœur qui bat pour elle.

Nos cailloux blancs

Quand j'arrive gare de Lyon, les « zéro heure » se sont déjà enrichis de quarante-cinq minutes... Le long hall qui mène aux grandes lignes ressemble à un champ de bataille abandonné. C'est un désert jonché de papiers, de journaux, de bouteilles, de cartons, d'épaves plus insolites encore ; chapeau, soulier d'enfant, vieux parapluie. Les derniers trains de la nuit viennent d'emmener sur le Centre et la Bourgogne des milliers de Parisiens. On se prépare à l'assaut de l'aube. On pousse à grands coups de balai les détritus abandonnés par la première vague.

Je m'approche d'un carton crevé qui a laissé fuir son contenu ; des livres. J'en ramasse au hasard deux. Tant pis je dirais ce qu'ils sont, au risque d'être soupçonné d'inventer ce fait. Au surplus, j'ai des témoins.

C'est un traité de mathématiques, par M. Commissaire, et Le Discours de la Méthode, de Descartes.

Quel peuple que celui qui hisse ainsi, derrière lui, les Intégrales et la Raison Pure, pour marquer sa route, comme ces cailloux blancs dont le Petit Poucet jalonnait son chemin, dans la forêt où rôdait l'Ogre !... ”

 
PARIS-SOIR • DIMANCHE 3 SEPTEMBRE 1939

Aux Parisiens qui veulent être évacués

La préfecture de la Seine communiqué la note suivante :

En vue de faciliter l'évacuation de la population parisienne, des mesures spéciales ont été arrêtées par l'administration au profit des familles qui ne disposent d'aucun lieu de refuge assuré en province.

Ces mesures ont déjà été portées à la connaissance du public par voie d'affiches officielles apposées sur tout le territoire du département de la Seine.

Peuvent être « éloignées » sur leur demande les personnes non mobilisables qu'aucune occupation intéressant la défense nationale ou la vie de la cité ne retient à Paris ou dans le département de la Seine. Pour bénéficier de cette mesure, il convient de se présenter le premier jour de la mobilisation, c'est-à-dire le 2 septembre à partir de 8 heures du matin, dans les mairies et les écoles dont la liste est actuellement affichée dans les divers immeubles privés en vue d'y retirer un titre de transport valable pour un jour et un train déterminés.

L'accès des trains spéciaux « d'éloignement » est rigoureusement réservé aux personnes titulaires d'un titre de transport.

La population ne pourra bénéficier des mesures prévues pour son éloignement que pendant une période de dix jours au maximum.

Les municipalités des communes où seront dirigés les « éloignés » leur accorderont les facilités pour se procurer un logement.

Dans l'intérêt même des « éloignés », il leur est instamment recommandé de se présenter aux gares d'embarquement une heure au moins avant l'heure de départ du train qui leur est assigné. Ils doivent se munir de pièces d'identité, de deux repas froids, d'une couverture et si possible d'un sac de couchage, les bagages à la main étant seuls autorisés.

Nouvel avis pressant à ceux qui ont un refuge en province

Le ministère de l'Intérieur communique :

Le gouvernement réitère, une fois de plus son conseil pressant à la population parisienne : ceux qui, ayant un domicile d'accueil en province, ont décidé de quitter la capitale, ne doivent pas attendre plus longtemps pour se mettre en route.

Pour ceux qui partent par voie ferrée

Le ministère des Travaux publics communique :

Le public a été informé de la mobilisation générale, le premier jour de la mobilisation est le samedi 2 septembre.

Un service de train renforcé pour l’éloignement volontaire de la population parisienne a été mis en vigueur dès aujourd'hui 15 heures, au départ des gares : Paris-Saint-Lazare, Paris-Montparnasse, Paris-Austerlitz, Paris-Lyon.

Il sera maintenu jusqu'au 2 septembre minuit dernier délai.

Il est recommandé de se munir à l'avance des billets utiles dans les bureaux de ville S.N.C.F. ; de réduire au strict nécessaire les bagages enregistrés ou à emporter ; de se conformer strictement aux mesures d'ordre destinés à faciliter l'accès des gares de Paris.

Aux Parisiens partant par la gare de Lyon-P.L.M.

Les personnes désirant quitter Paris par la gare de Lyon doivent se conformer dès maintenant aux indications suivantes :

Les voyageurs des grandes lignes doivent se présenter : ceux pour la direction du Bourbonnais, du Jura et de la Savoie à l'entrée de la rue de Chalon sur le boulevard Diderot, et ceux pour la direction de la Bourgogne et du Morvan à l'entrée de la rue Hector-Malot, sur le même boulevard.

Les voyageurs de banlieue continuent à prendre l'entrée habituelle.

Aucun bagage ne sera admis à la gare de Lyon. Tous les bagages pour cette gare doivent être conduits à la messagerie départ du Sud-Est, 2, rue du Charolais.

Prorogation de billets

La Société nationale des chemins de fer informe le public que :

1.) La validité des billets indiqués ci-après est prolongée gratuitement et sans formalité, jusqu'au 15 septembre 1939 : billets d'aller et retour à destination des stations balnéaires, thermales et climatiques ; billets de famille ; billets de colonies de vacances ; billets populaires de congé annuel et billets de loisirs agricoles ; billets délivrés pour trains de vacances ;

2.) Les porteurs des billets ci-dessus, auront la faculté, en s'adressant aux gares, de rentrer individuellement ou en plusieurs groupes ;

3.) Les familles des ouvriers, employés et agriculteurs mobilisés, ainsi que celles des fonctionnaires et des agents des services concédés, dont le congé est retardé, pourront, sur présentation de justifications, bénéficier des dispositions du tarif des billets populaires de congé annuel, ou du tarif des billets de loisirs agricoles.

Pour le départ du personnel des écoles primaires et professionnelles

Le ministère de l’Éducation nationale communique :

« Les membres du personnel enseignant des écoles primaires, primaires supérieures, professionnelle et secondaires du département, soit par leurs propres moyens, soit en usant des facilités données à la population civile, peuvent partir, à l'exception et jusqu'à nouvel ordre des chefs d'établissement, économes, directeurs d'école, concierges, agents de service et en général tous ceux qui ont une mission spéciale telles que la distribution des tickets à la population civile et la garde des locaux scolaires.

« Le personnel technicien des écoles professionnelles pouvant recevoir des affectations individuelles doit rester à son poste jusque nouvel ordre.

« Tout partant devra faire connaître à son chef d'établissement ou à son directeur sa nouvelle adresse. « Cette prescription s'applique également à tous ceux qui ont déjà quitté Paris. »

L'évacuation des enfants

L'évacuation des écoliers de Paris et du département de la Seine, confiée à la direction de l'enseignement primaire, à l'Hôtel de Ville, s'est terminée hier, à 13 heures. Elle a porté sur 31.100 enfants, chiffre inférieur à celui qui avait été prévu et qu'il avait été d'autant plus difficile de fixer que les colonies scolaires avaient été invitées à ne pas rentrer à Paris et que de nombreux parents s'étaient eux-mêmes chargés, soit de garder leurs enfants en province, soit d'y acheminer ceux qui étaient encore à Paris.

Quoi qu'il en soit, ceux dont la direction de l'Enseignement avait eu à assurer le départ sont bien arrivés à destination et leur installation s'est effectuée dans les meilleures conditions possibles.

RÉFÉRENCE