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LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE VII / XI

 

La Chapelle. Machine 2478, à vapeur saturée, simple expansion, tiroirs plans, mécanisme intérieur, pour trains de voyageurs. Série 2451 à 2516 construite en 1867-1873
Chemin de Fer du Nord, La Chapelle. Machine 2478, à vapeur saturée, simple expansion, tiroirs plans, mécanisme intérieur, pour trains de voyageurs
Série 2451 à 2516 construite en 1867-1873

III.

“ Pour des motifs que les droits d'octroi suffiraient seuls à expliquer, la gare de marchandises des chemins de fer de l'Ouest est située hors Paris, au-delà de l'enceinte des fortifications. J'ai dit plus haut qu'elles en étaient les dimensions il y a trente ans ; aujourd'hui elle couvre une superficie de 50 hectares [Un point de comparaison donnera une idée nette de cette étendue ; le Champ de Mars n'a que 40 hectares.]. Elle s'étend à droite de la voie quand on tourne le dos à Paris ; elle se compose de bâtimens d'administration et d'immenses hangars côtoyés par des quais où les trains viennent déposer et charger les marchandises. Il faut un large emplacement pour loger tous les colis qui arrivent jour et nuit ; le mouvement de va-et-vient est énorme, et il a été évalué pour l'année 1866 à 3,569,481,005 kilogrammes. Là s'amoncellent, soit revêtues de paille ou renfermées dans des caisses de bois blanc marquées de grosses lettres noires, soit en vracque, c'est-à-dire sans enveloppe, soit en sacs, en bouteilles, en fûts, des denrées de toute espèce, des marchandises de toute nature venues de la province, mais venues aussi d'outre-mer et débarquées dans nos ports de la Manche et de l'Océan. En voyant cette activité, ces piles de caisses, ces hommes agiles qui vérifient des numéros d'ordre, ces douaniers qui examinent les objets, ces sergens de ville qui se promènent l'œil aux aguets et l'oreille tendue, ces déchargeurs qui font bruyamment rouler leur brouette sur les parquets de bois, ces camions attelés de forts chevaux qui viennent chercher livraison de la marchandise attendue, ce désordre apparent qui cache une extrême régularité, on ne peut s'empêcher de penser à la description du port de Tyr, que nous apprenions dans Télémaque au temps du collège. L'Ouest a reçu en 1866 plusieurs millions de colis, sur lesquels 532 ont été égarés et dont la valeur a été remboursée aux propriétaires. Cette proportion est tellement minime que j'en parle seulement pour prouver avec quel soin toutes ces manutentions sont faites et quelle sécurité offre un si puissant moyen de transport.

 

En France, une difficulté de plus vient s'ajouter à toutes celles que présentent déjà la réception, le pesage, l'enregistrement et l'expédition d'une pareille quantité de marchandises. Au lieu de les faire retirer aussitôt qu'ils ont reçu leur lettre d'avis, les destinataires les laissent volontiers en gare, sachant que là elles sont emmagasinées avec précaution, qu'elles ne courent aucun risque et qu'elles ne seront grevées que d'un droit de consigne assez faible [2 cent. par 100 kilogrammes et par jour pendant les quinze premiers jours ; 5 cent. par kilogrammes et par jour pour chaque jour en sus, sans limite de temps.]. En un mot, les négocians considèrent volontiers les gares comme des docks où ils ont le droit de mettre leurs marchandises en dépôt. C'est là un abus grave et qui retombe de tout sont poids sur les compagnies. Si, indépendamment de l'encombrement déjà excessif occasionné par les arrivages journaliers, il faut encore se charger de la garde, parfois très prolongée, des marchandises parvenues à destination de route, nul emplacement ne sera suffisant, et le personnel devra être augmenté dans des proportions toujours croissantes. Les compagnies se plaignent, les négocians font la sourde oreille, le service général souffre, les employés sont accablés de travail. Cet abus tend à s'établir et à dégénérer en droit acquis. Il y aurait, il me semble, un moyen bien simple de faire cesser cet état de choses : ce serait d'établir un tarif proportionnel pour le séjour des marchandises en gare au-delà d'un certain laps de temps largement déterminé. De cette façon, les destinataires y regarderaient à deux fois et se hâteraient probablement de faire retirer les objets qui leur appartiennent, les compagnies seraient délivrées d'un embarras qui ralentit le service et rend souvent illusoire la meilleure volonté.

 

De l'autre côté des rails nombreux qui, en face de la gare des marchandises, sillonnent la voie, rendue exceptionnellement large en cet endroit pour pouvoir suffire à toutes les nécessités de l'exploitation, s'élèvent les constructions du dépôt. Là sont les bâtimens où les wagons de toute sorte attendent leur tour de voyage, et les remises où l'on garde les locomotives ; près de là, en plein air, s'élèvent des montagnes de charbon. Ce sont les chefs de dépôt qui fournissent chaque jour le nombre de machines et de voitures demandées par le chef de mouvement. On ajoute quotidiennement deux locomotives supplémentaires, dites locomotives de secours, et qui restent en gare prêtes pour un service inopiné. Quelque considérable que soit le matériel moteur et roulant d'une compagnie, il peut se présenter certains cas où il ne suffit pas aux exigences du moment. Ainsi en 1867 le chemin de fer de l'Ouest eut à pourvoir au service de l'exposition universelle. Du 1er avril au 3 novembre, 15,210 convois ont été expédiés et reçus à la gare Saint-Lazare ; 1,473,196 voyageurs ont étés transportés, ce qui donne une moyenne de 70 trains et 6,789 voyageurs par jour. La compagnie, pour subvenir à ces transports excessifs, a fait transformer 200 wagons à marchandises en voiture de 3e classe, 100 voitures de 3e classe en voitures de 2e et construire en outre des voitures des trois classes réglementaires. Aussi l'on se rappelle avec quelle régularité a fonctionné ce service adjoint.

 

 

Les dépôts de locomotives sont des bâtimens circulaires ou carrés. On renonce aux premiers et l'on fait bien, et l'on fait bien car ils offrent un notable inconvénient. Une seule plaque tournante en occupe le centre ; lorsqu'elle est détraquée, toutes les machines sont immobilisées, et l'on ne peut plus les faire sortir, tandis qu'un bâtiment carré, ouvert de nombreuses baies garnies de rails, donne autant d'issues aux locomotives qu'il y a de portes. Le parcours moyen d'une locomotive est annuellement de 30,000 kilomètres, soit 82 kilomètres par jour, ce qui est peu, si l'on a égard à l'extrême puissance de ces engins ; mais on ménage les locomotives exactement comme un bon cavalier ménage son cheval, et jamais, à moins de circonstances exceptionnelles, on ne leur demande un service qui ne soit bien au-dessous de leur force. Dès que la locomotive a terminé sa route, elle est ramenée au dépôt et livrée aux soins d'hommes qu'on pourrait appeler ses palefreniers et qui sont chargés de la nettoyer. Le travail que nécessite la mise en état d'une locomotive qui a parcouru sa distance réglementaire dure au moins deux jours et occupe deux hommes. Chaque écrou, chaque vis, chaque tube de la chaudière est visité. Selon M. Jules Gaudry [Voyez la Revue du 15 juillet 1863 et du 15 juin 1864.], une locomotive est en moyenne composée de quatre mille pièces différentes ; or on peut affirmer qu'après un pansage complet chacune de ces pièces a été examinée, fourbie et huilée. Aussi quand une machine sort des mains de ces hommes, elle est nette, reluisante et polie. Il faut trois heures pour mettre une locomotive en train, c'est-à-dire pour lui donner le degré de chaleur qui, développant sa puissance, la rend propre à être attelée aux wagons et à commencer sa route. Dans les cas extrêmes, qui se présentent très rarement, on peut, en allumant le foyer avec du bois, en promenant la machine sur la voie de façon à activer le tirage, arriver au même résultat en une heure et demie. Cela s'appelle pousser le feu. La locomotive, tout allumée, est remise au mécanicien, qui ne l'accepte qu'après avoir vérifié par lui-même qu'elle est en bon état et propre au service exigé.

 

Il est un des organes de la locomotive qu'on examine toujours avec soin avant le départ, c'est le chasse-pierres. Il se compose de deux bandes de fer légèrement concaves, terminées par deux fortes dents recourbées rasant les rails sans les toucher, de manière à rejeter tout obstacle qui pourrait les encombrer. Cet instrument fort simple a rendu d'immenses services et a sauvé bien des convois en repoussant loin du train lancé à toute rapidité les poutres et les pavés que de sinistres farceurs s'amusent à mettre sur le parcours afin de jouir du spectacle d'un convoi déraillé. En Amérique, le chasse-pierres est remplacé par le chasse-bœufs. Là en effet, la voie ferrée n'étant point garantie par des balustrades où des passages à niveau s'ouvrent à distance déterminée, les bestiaux qui paissent dans les prairies viennent souvent se coucher en travers des rails ; un engin fait en forme de grille convexe, très solide et membré de fortes barres de fer, enlève les animaux et les rejette au-delà du tracé. ”

 
Wagon à marchandises. Type Orléans
Wagon à marchandises.
Type Orléans [*]
 
 
Wagon à marchandises. Type Est
Wagon à marchandises.
Type Est [*]
 
 
Wagon à marchandises. Type P.-L.-M.
Wagon à marchandises.
Type P.-L.-M. [*]
 
 
Voiture à voyageurs. Type Ouest
Voiture à voyageurs.
Type Ouest [*]
 
 
Voiture à voyageurs. Type Est
Voiture à voyageurs.
Type Est [*]
 
 
Plan en élévation d'un train de voiture de 2e classe
Plan en élévation
d'un train de voiture de 2e classe [*]
 
 
Locomotive d'inspection la Petite, construite par Buddicom à Sotteville (1855)
Locomotive d'inspection la Petite,
construite par Buddicom
à Sotteville (1855) [***]
 
 
Machine n° 13 de la Cie d'Orléans, à essieux indépendants, ayant fait le service d'express, simple expansion, 2 cylindres. Construite par M. Polonceau,
Machine n° 13 de la Cie d'Orléans, à essieux indépendants,
ayant fait le service d'express simple expansion 2 cylindres
Construite par M. Polonceau
aux ateliers du Chemin de Fer d'Orléans en 1850-70
 
 
Machine n° 23 de la Cie d'Orléans, à essieux indépendants (1854-1855)
Machine n° 23 de la Cie d'Orléans
à essieux indépendants (1854-1855)
 
 
Machine de la Cie du Midi à 3 essieux accouplés, pour trains de marchandises.Série 601 à 640, construite en 1862
Machine de la Cie du Midi à 3 essieux accouplés
pour trains de marchandises
Série 601 à 640 construite en 1862
Crampton de l'Est - Type de 1852
Crampton de l'Est Type de 1852 (d'après M. Demoulin) [****]]

“ Les locomotives dont on se sert en France sont excellentes. Qu'elles soient, pour les trains de voyageurs, d'après le système Crampton, ou d'après le système Engerth pour les convois de marchandises, elles sont irréprochables au triple point de vue de la rapidité, de la puissance et de la sûreté de manœuvre ; mais si parfaites qu'elles soient, elles présentent un grave inconvénient, car elles sont découvertes et laissent le mécanicien exposé à la pluie, à la grêle, à la neige, à un courant d'air dont la force égale au moins la vitesse de la marche. Depuis quelque temps, on a adopté les lunettes qui du moins garantissent du jet de face ; mais les côtés sont libres et il n'y a pas de plafond, de sorte que l'amélioration, à peine sensible pendant le beau temps, devient illusoire pendant les bourrasques. En Allemagne, en Belgique, en Hollande et dans d'autres pays, les mécaniciens sont garantis par une sorte de capote de cabriolet retournée, armée de quatre larges œillères qui permettent de découvrir la voie en face et latéralement. De cette façon, ils sont abrités contre les intempéries, contre le froid, contre la neige aveuglante, contre la pluie fouaillée, qui abrutit à ce point qu'un mécanicien à qui l'on demandait pourquoi un jour d'orage il n'avait pas obéi à un signal a pu répondre avec véracité : Je l'ai vu trop tard ! L'objection formulée par les ingénieurs contre une amélioration que réclame l'humanité la moins exigeante est très nette : si nous abritons nos mécaniciens, disent-ils, ils dormiront ! Cela est possible, et je n'ai point compétence pour décider la question. La chaleur émanant du foyer incandescent, condensée sous la capote que ne balaierait aucun courant d'air, serait peut-être plus intolérable encore que le froid et l'humidité. Pourtant dans les moments de tourmente, quand les mécaniciens sont entourés par une véritable tempête qui souffle contre eux avec une force irrésistible, il n'est pas rare de les voir s'endormir debout, appuyés sur les plats-bords de la locomotive, oscillans et comme anéantis par la trombe qui les entoure. Ce métier est très pénible, non seulement par la responsabilité qu'il entraîne, mais par les souffrances qu'il contraint à endurer ; toutefois l'homme est un animal si admirablement doué qu'il se fait assez vite à ce rude labeur. Au bout de quinze jours ou de trois semaines d'exercice, on n'y pense plus guère. Ces hommes du reste, , hommes de courage, de prévoyance et de résolution, sont bien payés ; en dehors des primes qu'ils obtiennent facilement en ménageant le combustible tout en arrivant aux heures réglementaires, ils gagnent environ 10 francs par jours ; mais ce dur métier épuise vite leurs forces, qu'ils sont obligés de réparer par une nourriture très substantielle, et l'on peut croire qu'ils ne font pas beaucoup d'économies. ”

Locomotive Crampton Nord suivie de son tender; machine à voyageurs et de grande vitesse
Locomotive Crampton Nord suivie de son tender
Machine à voyageurs et de grande vitesse [**]
Locomotive à marchandises; type de l'Engerth à six roues accouplées
Locomotive à marchandises;
type de l'Engerth à six roues accouplées [**]
Machine de la Cie P.-L.-M. dite de Montagne - Série 4000 (1865)
Machine de la Cie P.-L.-M. dite de Montagne
Série 4000 (1865)
Machine de la Cie du Midi n° 715 à 4 essieux accouplés, pour trains de marchandises (Série 701à 715, construite en 1863-1864)
Machine de la Cie du Midi n° 715
Série 701 à 715 construite en 1863-1864
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