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SOUVENIRS FERROVIAIRES AU CIMETIÈRE DE MONTMARTRE

PAUL SÉJOURNÉ (1851-1939)

LIGNE BORT LES-ORGUES - NEUSSARGUES • VIADUC DE BARAJOL (1902-1907)
LIGNE BORT LES-ORGUES - NEUSSARGUES • PAUL SÉJOURNÉ, INGÉNIEUR EN CHEF
VIADUC DE BARAJOL (OU DE LUNE-SÈCHE) : LONGUEUR 317 M, RAMPE DE 23.6 ‰, HAUTEUR MAXIMALE DE 57 M,
12 ARCHES DE 20 M D'OUVERTURE, COURBE DE 300 M DE RAYON
CONSTRUIT DE 1902 À 1907
MONUMENT HISTORIQUE : INSCRIPTION DU 28 DÉCEMBRE 1984
RIOM-ÈS-MONTAGNES (15) • 45° 18' 13.8" N, 02° 41' 38.6" E

du 1er mars 1939

UN GRAND CONSTRUCTEUR
M. Séjourné
par M. MARTINET,
Ingénieur en Chef,
Attaché à la Direction de l'Exploitation de la Région du Sud-Est de la S.N.C.F.

M. Séjourné vient de mourir à 87 ans, au terme d'une vie. magnifique, consacrée pour la plus grande part à construire des chemins de fer en France, en Espagne, au Maroc. Comme M. Descubes, autre grand constructeur qui fut son émule, M. Séjourné laisse après lui des monuments de Science et de Goût. M. Martinet, constructeur lui-même, qui fut pendant plus de vingt ans le collaborateur le plus intime de M. Séjourné, a bien voulu résumer dans les pages suivantes l'essentiel de la longue carrière de celui qui fut entre tous un maître.

Pour compléter cet hommage, nous donnons ici, quelque connues qu'elles puissent être de nos lecteurs français et étrangers, quelques-unes des plus caractéristiques, parmi les œuvres très nombreuses sur lesquelles M. Séjourné a mis son empreinte.

R.

Entré en 1871 à l'École Polytechnique, où il fut en première année le camarade de salle du futur Maréchal Foch, Paul Séjourné débuta en 1876 comme Ingénieur des Ponts et Chaussées à Mende. Son service comprenait les études et travaux de la ligne de Mende à Sévérac ; cela déterminera sa carrière : il construira des chemins de fer toute sa vie.

Il fait là ses premières armes. Dans son livre « Grandes Voûtes », au sujet de l'appareil orthogonal parallèle des ponts biais, il écrit : « il est cher, de projet laborieux, d'exécution délicate, et laid, même bien exécuté » ; et, en note, pour justifier le mot « laid », il ajoute : « J'ai le droit, comme auteur du projet (1877), de qualifier ainsi le pont de Becdejeu, sur le Lot, en appareil orthogonal parallèle ».

Mais il sait mettre à profit toute expérience.

Nommé à Toulouse, il dresse, pour les lignes de Marmande à Casteljaloux, de Tarascon-sur-Ariège à Ax-les-Thermes et de Montauban à Castres, les projets des ponts qui établiront sa maîtrise :

— Pont du Castelet, 1882-83 (arche de 41 m, Tarascon-Ax-les-Thermes) ;

— Pont de Lavaur, 1882-84 (arche de 61 m, Montauban-Castres) ;

— Pont Antoinette, 1883-84 (arche de 50 m, Montauban-Castres) ;

il dédie le dernier à celle qui sera l'admirable compagne de sa vie et qui l'a suivi de quelques jours au tombeau.

Ces trois ponts ont des tympans ajourés par des petites voûtes ; leurs cintres ont des contrefiches radiales ; les grandes voûtes sont exécutées en plusieurs rouleaux, divisés en tronçons par des joints secs placés aux points fixes du cintre et clavés, lorsque le cintre porte tout le poids du rouleau, par matage de mortier de ciment pulvérulent.

Il existait déjà des ponts avec tympans élégis par des arcades, par exemple le vieux pont de Céret, qui date de 1336. On avait fait aussi des cintres à contrefiches radiales, des voûtes en plusieurs rouleaux, des joints secs matés. Mais on discutait sur ces dispositions, sur ces procédés. Séjourné sait reconnaître ce qu'il y a de bon dans chacun d'eux ; et il les fait servir à la construction de très beaux ouvrages, où éclatent d'un seul coup son goût très sûr, le sens des proportions et de la mesure, l'élégance et la hardiesse qui caractériseront dès lors tous ses travaux. Après ce coup de maître, on ne discute plus les dispositions que Séjourné a employées ; on les adopte.

Les lignes de la région de Toulouse terminées, pour pouvoir construire encore des chemins de fer, il va, de 1889 à 1893, en Espagne, diriger les études de la ligne de Linarès à Alméria ; l'Ingénieur français qui parcourt cette rude région est agréablement surpris d'y trouver des ponts, des viaducs de goût français, d'une exécution parfaite.

Rentré au service de l’État le 1er janvier 1894, comme Ingénieur en Chef du département de la Lozère, à Mende, où il a débuté, Séjourné y construit la ligne de Mende à La Bastide.

Mais ces travaux ne sont pas à sa taille. En 1896, il commence à Dijon et poursuit à Paris, au Service de la Construction de la Compagnie P.-L.-M. qu'il dirigera plus tard, de 1909 à 1926, l'exécution des lignes Saint-Jean-de-Losne à Lons-le-Saunier, Paray-le-Monial à Lozanne, Dijon à Épinac, Morez à Saint-Claude, Le Puy à Langogne, Brioude à Saint-Flour. Aux ponts de l'Arconce et du Sornin, de la ligne de Paray-le-Monial à Lozanne (arches en plein cintre de 25 et de 35 m.), il essaye les cintres retroussés raidis par des câbles en acier qu'il utilisera à Luxembourg et ailleurs.

En 1901, il est nommé Professeur du cours de ponts en maçonnerie à l’École des Ponts et Chaussées. On s'adresse à lui pour construire deux ponts-routes :

— de 1899 à 1902, le grand pont Adolphe, à Luxembourg, de 84 m d'ouverture, qui dépasse alors de 17 m la plus grande voûte existante ;

— de 1904 à 1907, le pont des Amidonniers, sur la Garonne, à Toulouse (5 arches en ellipse : une de 46 m, deux de 42 m, et deux de 38,50 m).

Ces deux ouvrages sont d'un type nouveau ; ils comportent deux ponts parallèles, « deux ponts jumeaux » comme dit Séjourné, portant une dalle en béton armé : à Luxembourg, deux voûtes de 5,25 m de largeur avec, entre les deux, un vide de 5,92 m ; à Toulouse, deux ponts de 3,25 m de largeur à la clef, séparés par un intervalle de 10 m. Meilleure utilisation de la résistance des voûtes, économie de maçonnerie, économie de cintres sont les précieux avantages qui font imiter partout, en Europe, aux États-Unis, la disposition nouvelle.

En 1906, M. Lax, Directeur du Contrôle des Chemins de fer du Midi, demande le concours de Séjourné pour la construction d'un grand viaduc à Fontpédrouse, sur la ligne à voie d'un mètre de Villefranche-de-Conflent à Bourg-Madame ; la vallée, de forme assez régulière, est coupée par un creux brusque de 65 m de profondeur au-dessous du rail, au fond duquel coule la Têt. Séjourné supprime le creux en créant vers son milieu, par la pointe d'une ogive de 30 m d’ouverture, le point d'appui d'une des piles du Viaduc qui traversera la vallée.

À partir de 1909, il se consacre aux travaux des lignes de Miramas à l'Estaque, Moutiers à Bourg-Saint-Maurice, Frasne à Vallorbe, Monéteau à Saint-Florentin, Nice à Coni, Riom à Châtel-Guyon, Vichy à Cusset, Riom à Vichy, La Ferté-Hauterive à Gannat, le Puy à Lalevade, Chorges à Barcelonnette. Au souterrain du Mont-d'Or (6.100 m) de la ligne de Frasne à Vallorbe, des venues d'eau, atteignant 12 mètres cubes par seconde, envahissent le chantier. Séjourné, à force de patience, d'énergie, les capte et les contraint à remonter vers leur source, à 80 m plus haut et à 4 kilomètres en deçà du point où elles s'étaient révélées.

Il avait aussi mis au point des méthodes de détermination rapide du meilleur tracé d'une ligne. Il disait souvent : « C'est sur le tracé qu'on économise ; après, on ne fait plus que glaner, que grapiller. Ce qu'on gagne sur les ouvrages est misérable ; c'est faire voir bien peu de goût que de les gâter pour si peu ». Car, et par-dessus tout, il voulait que les ouvrages n'enlaidissent pas le paysage, qu'ils fussent « ajustés » au terrain; il répétait : « un ouvrage ce n'est pas de la confection ; cela se fait sur mesure ».

Il publia, de 1913 à 1916, son livre « Grandes Voûtes », dans lequel il a rassemblé avec infiniment d'art le fruit de ses longues lectures, de ses réflexions, de ses nombreux voyages ; presque tous les ponts qu'il y décrit, il les a vus et photographiés. Ce magistral ouvrage est devenu classique, à l'étranger comme en France.

En 1924, il était élu membre de l'Académie des Sciences. Bien qu'ayant mis fin, en décembre 1926, à ses fonctions à la Compagnie P.-L.-M., il ne cessa pas de travailler. Il avait été chargé, en 1916, de la direction des études des Chemins de fer du Maroc.

Dès son premier voyage à Rabat, il alla voir Lyautey. Ces deux hommes d'action se comprirent tout de suite. La guerre, les difficultés financières qui suivirent, retardèrent les travaux.

Cependant, on inaugurait la ligne de Casablanca vers Oued Zem (ligne des phosphates) en 1923, celle de Casablanca à Rabat en 1925, celle de Casablanca à Marrakech en 1928. Mais Séjourné avait senti, avant Lyautey peut-être, toute l'importance que présentait, pour la liaison de nos possessions de l'Afrique du Nord, la ligne de Fès à Oujda, de 350 kilomètres de longueur. Aussi fit-il les plus grands efforts pour qu'on la commençât. Des considérations financières s'y opposaient; il ne se découragea pas ; sa maxime favorite était celle du Taciturne : « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ». L'attaque d'Abd-el-Krim montra qu'il avait raison et il eut la grande joie d'assister, en 1934, à l'inauguration officielle de cette ligne, qui complète heureusement la voie impériale de Marrakech à Tunis.

En décernant à Séjourné le prix Rouville, en 1906, trois ans après l'achèvement du pont de Luxembourg, le Ministre des Travaux Publics lui écrivait : « Le premier, vous êtes arrivé à réaliser dans la construction de pure maçonnerie l'idéal de hardiesse, de résistance et de beauté auquel ont tendu sans cesse les efforts des plus distingués de vos prédécesseurs. Votre nom, déjà gravé à la base de l'œuvre grandiose que vous avez édifiée au delà de la frontière, pour le grand honneur de notre pays, restera, parmi les techniciens, comme un symbole de la Science mise au service de l'Art. »

On ne peut pas mieux définir, en quelques mots, les qualités maîtresses de Paul Séjourné.

En même temps qu'un grand Ingénieur, il a été un très grand Artiste, un grand Français, qui fait honneur à la France ; et tous ceux qui ont eu le bonheur de vivre près de lui savent qu'il était aussi un homme de grand cœur. Ce fut, enfin, un grand Chrétien.

Son souvenir restera vivant dans la mémoire des nombreux élèves à qui il a enseigné l'art des ponts en pierre et dans le cœur de ceux qui s'honorent d'avoir été ses collaborateurs et ses amis.

Illustrations :

— Pont de Castelet (1882-1883)
— Pont de Lavaur (1882-1884)
— Pont Antoinette (1883-1884)
— Pont de Luxembourg (1899-1903)
— Pont des Amidonniers (1904-1910)
— Viaduc de Fontpédrouse
— Pont de Scarassoui

 
TOMBE DE PAUL SÉJOURNÉ
ICI ATTENDENT
LA RÉSURECTION PROMISE
...
L'INGÉNIEUR PAUL SÉJOURNÉ
 
MEMBRE DE L'INSTITUT
GRAND OFFICIER de la LÉGION D'HONNEUR
ORLÉANS 1854 — PARIS 14 JANVIER 1939
 
 
ANTOINETTE DE PÉRÈS
 
FEMME DE PAUL SÉJOURNÉ
MARMANDE 1856 — PARIS 18 JANVIER 1939
PONT DES CATALANS • PAUL SÉJOURNÉ, CONCEPTEUR
PONT DES CATALANS (OU DES AMIDONNIERS) • PAUL SÉJOURNÉ, CONCEPTEUR
LONGUEUR : 257 M
CONSTRUIT DE 1902 À 1907
MONUMENT HISTORIQUE : INSCRIPTION DU 6 AOÛT 2018
TOULOUSE (31) • 43° 36' 12.0" N, 01° 25' 40.7" E

du mardi 17 janvier 1939

CEUX QUI S'EN VONT

M. Paul Séjourné, inspecteur général des ponts et chaussées
C'est lui qui conçut et réalisa la construction du pont des Catalans

On annonce de Paris la mort de M. Paul Séjourné, inspecteur général des ponts et chaussées, sous-directeur de la Compagnie P.-L.-M., professeur à l’École nationale des ponts et chaussées, membre de l'Institut.

Le défunt, qui participa aux études et à la construction de nombreuses lignes de chemins de fer et nombreux ouvrages d'art, tels que les ponts du Coutelet, de Lavaur ; du viaduc de la Cerdagne, pour ne citer que les plus caractéristiques, fit bénéficier les réalisations de cette nature de conceptions neuves, hardies et particulièrement fécondes.

Alliant harmonieusement l'élégance des lignes, l'équilibre des formes à une rationnelle utilisation des matériaux, a obtenu des réussites qui font l'admiration de tous et honorent la science et la technique françaises.

À Toulouse, il a conçu et dirigé la construction d'un pont qui demeure un des plus beaux ornements de la Garonne. C'est, en effet, lui qui, de 1905 à 1910 réalisa le pont des Catalans. Cette œuvre, l'une des premières qui comporte l'utilisation partielle du ciment armé, heurta à son époque un certain nombre de préjugés par la hardiesse de sa conception. Au lieu de procéder par un cheminement progressif vers l'arche centrale, l'ingénieur jeta tout d'abord les deux supports du pont sur la Garonne, puis le tablier réalisé en deux tronçons sur les berges du fleuve fut lancé sur les arches et termina en apothéose une œuvre dont la solidité a répondu aux espoirs de l'ingénieur.

Ce pont qui devait primitivement porter le nom de son constructeur fut appelé pont des Catalans en l'honneur d'une visite que fit à Toulouse la municipalité de Barcelone.

M. Séjourné était grand-officier de la Légion d'honneur depuis le 9 juin 1926.

Avec lui disparaît l'un des plus grands ingénieurs de notre pays et Toulouse qui lui doit l'un de ses plus beaux ponts se devait de rendre hommage à la mémoire du disparu.

 
PONT DES CATALANS • PAUL SÉJOURNÉ, CONCEPTEUR
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