Index
Suivante
Précédente
SOUVENIRS FERROVIAIRES AU CIMETIÈRE DE MONTMARTRE

SACHA GUITRY (1885-1957)

« LE COMÉDIEN » DE SACHA GUITRY (1948)

PHOTOGRAMME « LE COMÉDIEN (LUCIEN GUITRY RACONTÉ PAR SON FILS) » DE SACHA GUITRY (1948)
WAGON-LIT Lx 3509 CONSTRUIT EN 1929 PAR LES ENTREPRISES INDUSTRIELLES CHARENTAISES À AYTRÉ (LA ROCHELLE)

LE COMÉDIEN

Dans la loge de Lucien Guitry.

PERSONNAGES

Lucien Guitry (Sacha Guitry).
Catherine Maillard (Lana Marconi).
M. Maillard, l'oncle de Catherine (Jacques Baumer).

LUCIEN GUITRY

Mademoiselle, ne trouvez-vous pas que le mot « partir » a quelque chose d’enivrant ?

M. MAILLARD

Oui et non...

LUCIEN GUITRY

Moi il m’a toujours donné le petit frisson dans le dos ; oui c’est l’évasion et je crois d’ailleurs qu’on ne tolérerait pas l’odeur d’une gare si il n’y avait pas ce parfum de liberté qui rôde et qui vous grise.

C’est beau de partir par un temps de neige ; c’est beau de s’endormir avec du givre aux fenêtres du sleeping et d’être réveillé par un rayon de soleil brûlant. C’est amusant de penser qu’on a une pelisse sur le dos, n’est-ce pas, et qu’on a un chapeau de paille sur le dessus de sa malle.

C’est drôle de penser qu’à Dijon on se penche pour demander deux grogs et que, par la même fenêtre, quelques heures plus tard, on achète des mandarines.

M. MAILLARD

Mais, pourquoi dis-tu, deux grogs puisque tu seras seul ?

LUCIEN GUITRY

Nous étions deux.

M. MAILLARD

Quand 

LUCIEN GUITRY

Demain !

M. MAILLARD

Vous étiez deux ? Demain ?

LUCIEN GUITRY

En pensée, oui, nous étions deux !

À la gare de Lyon, Lucien Guitry, à la fenêtre d'un sleeping du Train Bleu, Catherine Maillard arrive suivie d'un bagagiste.

LUCIEN GUITRY

Oh ! Non !

CATHERINE MAILLARD

Mais si ! Je peux monter ?

LUCIEN GUITRY

Ah oui !

 
TOMBEAU DES GUITRY
TOMBEAU
DE JEAN GUITRY (1884-1920), LUCIEN GUITRY (1860-1925)
SACHA GUITRY & LANA GUITRY (1917-1990)
 

GÉNÉRIQUE DU FILM
« LE COMÉDIEN (LUCIEN GUITRY RACONTÉ PAR SON FILS) »

André Paulvé
PRÉSENTE
LE COMÉDIEN (LUCIEN GUITRY raconté par son fils)
Texte et réalisation de SACHA GUITRY
L’AUTEUR interprète les deux principaux rôles du film
SON PÈRE et LUI
et, il les joue avec LANA MARCONI
avec PAULINE CARTON
avec JACQUES BAUMER et ROBERT SELLER
avec JOSÉ NOGUERO
avec MAURICE TEYNAC, LEON BELIÈRES et SIMONE PARIS
enfin avec MARGUERITE PIERRY
Dans ce film Mme LUDMILLA PITOEFF
veut bien être un instant La DUSE
GEORGES GREY est l’élève préféré de PASTEUR
au cours du film on aperçoit
JEANNE VÉNIAT
LEON WALTHER, JACQUES COURTIN
YVONNE-HEBERT
MADELEINE SUFFEL
SANDRA MILOVANOFF
SAINT PAUL
et enfin ANDRÉ BRUNOT avec DIDIER D’YD
La musique est de LOUIS BEYDTS
Les décors sont de RENÉ RENOUX
L’opérateur est NICOLAS TOPORKOFF (A.S.C.)
...

JUSQU’À NOUVEL ORDRE

Le Train des Maris

Allant chercher des amis à la gare de Trouville, samedi dernier, j'ai eu l'avantage d'assister à l'arrivée du train qu'on appelle le train des maris.

Le train devait entrer en gare à 8 heures 45. Mais, étant parti de Paris avec une heure de retard, cela ne lui était plus guère possible.

Je déambulais depuis déjà dix minutes, lorsque je fus frappé du grand nombre de dames qui attendaient comme moi le train de 8 heures 45.

Certaines de ces dames étaient élégantes, d'autres l'étaient moins, plusieurs ne l'étaient pas et — me croirez- vous ? — aucune d'elles n'était accompagnée !

Cela me parut étrange, et il me fallut quelques secondes de réflexion pour comprendre que toutes ces dames seules attendaient leurs maris.

Elles les attendaient toutes, mais toutes ne les attendaient pas de la même façon.

L'une regardait alternativement sa montre et la pendule de la gare. Une petite brune avait apporté un livre et, assise, elle lisait sans impatience. Une autre, pensive, arpentait lentement le quai. Une autre encore allait constamment au-devant du train qui ne venait toujours pas...

À 9 heures 5, la plus amoureuse de ces dames demanda à un employé qui passait près d'elle si le train avait beaucoup de retard. L'employé, sur un ton de lassitude résignée, répondit qu'il n'en savait rien et il ajouta qu'il n'y avait pas de retard annoncé.

— Ah ! bon, fit la dame.

Étant donnée l'heure, je ne compris pas comment la réponse de l'employé avait pu satisfaire la dame.

À 9 heures 30, une autre dame demanda à parler au chef de gare. On lui indiqua le chemin.

Elle revint quelques instants plus tard en déclarant qu'on était toujours sans nouvelles du train de 8 heures 45 et que vraiment c'était honteux de laisser ainsi les gens dans l'incertitude !

Des groupes de dames s'étaient formés peu à peu, et sans qu'aucune présentation eût été faite, des conversations amères, pessimistes et vengeresses s'étaient engagées.

Toutes ces dames étaient du même avis, elles n'avaient personne à convaincre et cependant la plupart d'entre elles s'adressaient aux autres en criant.

À 10 heures 15, une grosse blonde en piqué blanc, plus énergique, plus résolue que ses semblables, dit:

— Je vais aller voir au bureau du télégraphe !

Et elle s'éloigna d'un pas ridiculement décidé.

Pour accélérer sa marche, elle avait imprimé à ses petits bras un rapide mouvement natatoire, et le long voile blanc dont elle s'était ornée traînait à présent derrière elle et balayait le quai, qui en avait d'ailleurs bien besoin.

Une dizaine d'épouses, confiantes, l'avaient suivie.

L'employé du télégraphe vit arriver cette trombe avec effroi.

— Monsieur, dit la grosse blonde en piqué blanc, est-on toujours sans nouvelles du train de Paris ?

— Ti-di-dim, dim, dim...

— Monsieur, je vous parle !

— Madame ?...Dim-di-di-dim...

— Quelles sont les nouvelles du train de Paris ?

— J'en attends, madame ! Dim, di-dim, tic-di-di-dim...

— Téléphonez à Lisieux...

— Nous n'avons pas le téléphone avec Lisieux !

— Oh ! Ils n'ont même pas le téléphone !

— Dim- dim...

— C'est monstrueux ! Télégraphiez...

— C'est ce que vous m'empêchez de faire, madame ! Dic-dim-di-di-dic..

La placidité de cet employé irresponsable l'exaspéra davantage. Mais, tout de même, elle comprit qu'elle l'importunait, et, comme elle voulait en finir d'une façon éclatante, elle dit en frappant sur la planchette du guichet :

— Vous allez voir le procès que je vais faire à la Compagnie !

Et elle sortit, digne et stupide.

Et elle revint, toujours suivie des dix dames qui l'avaient accompagnée et dans l'estime desquelles elle occupa dès lors une place démesurée.

Cette grosse blonde en piqué blanc paraissait avoir perdu tout empire sur ses nerfs. Elle parcourait le quai d'arrivée — s'il est digne encore de porter ce nom ! — en hurlant :

— Ce n'est même plus la peine de l'attendre maintenant !

Pensez donc, il est près de dix heures et demie ! Il y a sûrement eu un accident ! ! !

À ce mot, il se produisit un phénomène des plus curieux...

Une dame — j'allais dire une veuve ! — éclata en sanglots convulsifs ; une autre embrassa tendrement l'enfant qu'elle portait et qui dormait sur ses bras ; une autre, pâle, murmura :

— Oh ! Ne dites pas un mot pareil !

Une autre dit simplement :

— Je ne crois pas...

Et j'en remarquai plusieurs qui, sans avoir rien dit, s'étaient éloignées.

Je suivis l'une d'elles, charmante, et, en la dépassant près d'un réverbère, je vis qu'elle souriait et que dans ses yeux il y avait un indéfinissable espoir !

J'en suivis une autre ; mais en m'approchant de celle-là, je la trouvai si laide avec un long nez rouge, des yeux tout petits, une bouche énorme, enfin si laide, quoi, que j'eus envie de lui dire :

— Oh ! Non, pas vous ! Vous, ne riez pas ! Vous vous vantez madame... car, c'est lui qui doit être enchanté, même s'il y a eu un accident !

RÉFÉRENCES