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SOUVENIRS FERROVIAIRES AU CIMETIÈRE DE MONTMARTRE

EUGÈNE FLACHAT (1802-1873)

MONUMENT EUGÈNE FLACHAT
 
MONUMENT EUGÈNE FLACHAT (1897) PAR ALFRED BOUCHER (1850-1934)

du dimanche 22 juin 1873

M. EUGÈNE FLACHAT

Les obsèques de M. Eugène Flachat ont été célébrées hier, à l'église Saint-Louis-d'Antin, au milieu d'une assistance nombreuse et recueillie. Elle était surtout composée de savants, d'ingénieurs et d'agents de tous grades des Compagnies de chemins de fer.

M. Jules Simon et MM. Émile et Isaac Pereire assistaient aussi à cette triste cérémonie, le premier comme neveu du défunt, les seconds comme unis à lui par une vieille amitié et par une longue communauté de travaux.

Le deuil était conduit par M. Stéphane Mony. directeur des houillères de Commentry, et les coins du poêle étaient tenus par MM. Isaac Pereire, Lechatelier, inspecteur général des mines, Surrel, ancien directeur des chemins du Midi, et Molinos, président de la Société des ingénieurs civils.

Les restes de l'éminent ingénieur ont été conduits au cimetière Montmartre, où des discours ont été prononcés par M. l'abbé Duclos, curé de Saint Eugène, MM. Isaac Pereire, Lechatelier et Molinos.

Celui de M. Isaac Pereire, que nous reproduisons, résume les traits principaux de la vie d'un homme dont la place est marquée parmi ceux de ses contemporains qui ont le plus contribué aux progrès de notre époque :

Messieurs, c'est mon frère qui, par son âge et par l'ancienneté de ses rapports avec Eugène Flachat, aurait dû prendre la parole en cette circonstance.

Malheureusement, sa santé ne lui a pas permis de remplir ce devoir.

Je viens donc à sa place rendre un dernier hommage à l'ami, au compagnon fidèle et dévoué de tous nos travaux.

Autour de sa dépouille se pressent ici, avec un profond sentiment de regret et de respect, ses amis, ses élèves et les membres si nombreux aujourd'hui de la famille industrielle à laquelle il appartenait.

D'autres voix plus compétentes et plus autorisées que la mienne, vous diront comment s'est formée cette famille, la part qu'a prise notre ami à sa naissance et à son développement, les travaux par lesquels il avait mérité d'en devenir l'un des chefs.

Elles vous parleront en particulier de la fondation de la Société des ingénieurs civils, qui fut une des œuvres capitales de sa vie.

Ma tâche est autre. J'ai le triste privilège, messieurs, d'être bien ancien dans cette même famille industrielle qui a si puissamment concouru à réaliser l'une des plus merveilleuses transformations qui se soient opérées dans le monde, celle qui s'est accomplie par la création des chemins de fer ; je puis donc vous dire les débuts de Flachat dans cette carrière où il s'est distingué entre tous.

L'origine de nos relations remonte, en effet, à l'année 1835.

À cette époque, quelques hommes, jeunes alors, réunis par la passion du bien public, élaboraient en commun de hautes questions sociales, au nombre desquelles se trouvait le problème des chemins de fer. Cependant ils ne rencontraient que des sourires d'incrédulité sur les lèvres des personnages les plus graves, lorsqu'ils affirmaient la possibilité de modifier profondément tout notre ancien système de viabilité, par une nouvelle application de la vapeur ; lorsqu'ils développaient les grands avantages de ces voies rapides au point de vue social et politique, et montraient l'immense accroissement de richesses qui devait en résulter, l'influence que, par suite, une, elles devaient , exercer sur le bien-être des masses.

Eugène Flachat avait senti, un des premiers, la grandeur de cette œuvre, dont sont frère Stéphane était l'un des promoteurs, et l'attrait irrésistible qu'avait pour lui la carrière des chemins de fer était encore augmenté par la vive affection qu'il portait à ce frère.

C'est dans cette situation d'esprit que, en 1832, au mois de juin, des amis désolés suivaient, aussi tristement que nous le faisons aujourd'hui, le convoi d'un camarade, d'Edmond Talabot, enlevé prématurément à leur affection.

Au nombre de ces amis, dont Flachat faisait partie, se trouvaient aussi MM. Clapeyron et Lamé, ces grands ingénieurs, ces savants illustres, disparus aujourd'hui, mais toujours vivants en nous comme en tous ceux qui les ont aimés, Stéphane Mony et Émile Pereire ; ces hommes se rencontrèrent dans la même pensée, et ils se promirent de travailler activement, en commun, à la réalisation de cette œuvre des chemins de fer.

La promesse a été tenue par chacun dans la mesure de ses forces, et Flachat y a apporté, pour sa part, l'ardeur et la persévérance qu'il mettait dans tout ce qu'il entreprenait.

Toutes les personnes qui ont eu l'occasion d'avoir des rapports avec Eugène Flachat n'ont jamais eu qu'à se louer de sa bienveillance : sa nature était bonne et conciliante ; plein de sollicitude pour ses subordonnés, son affection et son dévouement étaient sans bornes pour ses amis.

Une longue communauté de travaux m'a permis d'en faire l'expérience ; mais il m'a été donné surtout d'apprécier l'aménité de son caractère et les ressources de son esprit dans de fréquents voyages que nous fîmes ensemble à l'étranger pour y chercher les perfectionnements qui se réalisaient incessamment dans l'industrie naissante des chemins de fer.

C'est ainsi que, entre autres importations, se trouve celle du télégraphe électrique, dont la première application fut faite en France, sur le chemin de Saint-Germain.

Le chemin de Saint-Germain a toujours été, de la part d'Eugène Flachat, l'objet de la plus vive prédilection.

Pour lui, comme pour Petiet de si regrettable mémoire, le maître de la plupart d'entre vous, son collaborateur et son ami le plus ancien, comme il fut, aussi le nôtre, ce chemin était devenu un champ d'observations inépuisables. Longtemps il a été encore l'école où venaient se former la plupart des ingénieurs et des employés de tous grades pour le service des lignes nouvelles.

En dehors des chemins de Saint-Germain et de Versailles, à la tête desquels Eugène Flachat est resté pendant de longues années et où il a fait des travaux très remarquables, du chemin d'Auteuil qu'il a construit, Eugène Flachat a concouru à des œuvres d'une importance beaucoup plus grande pour le pays, comme à l'établissement des chemins du Midi qui ont été la source d'une si grande prospérité pour les contrées qu'ils traversent et auquel il a pris la part la plus active, comme aussi à l'entreprise des chemins de l'Ouest à laquelle il a été longtemps attaché en qualité d'ingénieur principal et où il a laissé, dans tous les rangs du personnel, les souvenirs les plus affectueux.

La dernière œuvre à laquelle Flachat a participé est celle du chemin du nord de l’Espagne.

Là, ses conseils nous ont été du plus grand secours pour la construction si difficile de ce chemin à travers plusieurs chaînes de montagnes ; mais c'est surtout dans l'organisation de l'exploitation qu'il nous a prêté la plus utile collaboration.

Il était ingénieur en chef de cette entreprise, et il a conservé ces fonctions jusqu'à sa mort.

Il y est universellement regretté.

Les travaux d'Eugène Flachat, en dehors des chemins de fer, sont considérables, particulièrement en ce qui concerne l'industrie de la fabrication du fer.

Je ne suis pas compétent pour les apprécier.

Je ne puis cependant passer sous silence deux œuvres capitales qui se sont accomplies sous ses ordres ou par ses conseils.

C'est d'abord, et en première ligne, la reconstruction merveilleuse de la cathédrale de Bayeux, dont il a dû refaire toutes les fondations sans toucher à l’édifice, à la grande admiration de la population tout entière ; c'est encore la modification heureuse apportée, par ses conseils, dans les plans relatifs à la construction des halles centrales de Paris.

Et ces services importants, il les rendait simplement, sans autre mobile que celui de l'amour de l'art.

Il a voulu rester à Paris pendant le siège, pour contribuer, par ses conseils, à la défense de la capitale, et il a pris courageusement sa part de toutes les privations que nous avons dû subir durant ce long martyre. Mais ce qui l'a surtout ému, ce sont les mortelles tristesses auxquelles il ne pouvait se soustraire au spectacle des malheurs de la patrie ; ces privations, ces tristesses, les durs labeurs qu'il s'imposa pour remplir les missions qui lui étaient confiées, ont certainement abrégé sa vie.

Cependant, en ces jours de deuil que nous passions généralement ensemble, jamais je n'ai remarqué que la sérénité de son cœur se fût altérée.

Après avoir retracé les traits principaux de la vie de l'ingénieur éminent dont l'esprit était fertile en ressources et le cœur ferme dans les circonstances les plus difficiles, du travailleur patient qui ne marchandait ni sa peine, ni ses services, qu'il me soit permis, messieurs, de pleurer le vieux compagnon, le collaborateur, l'homme des mauvais jours comme des bons, l'ami le plus ancien et le plus dévoué ; au moment où la mort vient rompre brusquement des liens dont l'existence est en quelque sorte une partie de nous-mêmes, il est difficile de retenir un cri de douleur ; mais les qualités de l'ami qu'on a perdu ne se sont-elles pas également incarnées en nous et ne le rappellent-elles pas incessamment à notre affection et à nos souvenir ?

Ne sommes-nous pas alors autorisés à reconnaître et à proclamer cette pensée consolante que le véritable tombeau des morts, ce sont les vivants qu'ils ont aimés.

 
TOMBE D'EUGÈNE FLACHAT
À
EUGÈNE FLACHAT
 
1802 — 1873
 
PRÉSIDENT ET L'UN DES FONDATEURS
DE LA SOCIÉTÉ DES INGÉNIEURS CIVILS
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
GUIDE DU MÉCANICIEN CONDUCTEUR DE LOCOMOTIVES • EUGÈNE FLACHAT & JULES PETIET (1840)
MONUMENT EUGÈNE FLACHAT « DISCUSSION ANIMÉE À LA SOCIÉTÉ DES INGÉNIEURS CIVILS DE FRANCE »
 
« DISCUSSION ANIMÉE À LA SOCIÉTÉ DES INGÉNIEURS CIVILS DE FRANCE »
MONUMENT EUGÈNE FLACHAT

n° 862 du dimanche 16 septembre 1962

Christophe-Eugène FLACHAT 1802-1873
par Charles Lecomte

Jeudi 24 août 1837. Place de l’Europe, à Paris, aux extrémités des rues de Londres et de Tivoli. Un élégant pavillon. Il est deux heures quinze minutes de relevée. Dans un salon richement décoré, Émile Pereire et le baron James de Rothschild reçoivent solennellement la reine Marie-Amélie, le duc et la duchesse d’Orléans, les jeunes princesses Adélaïde et Clémentine, les ducs d’Aumale et de Montpensier. Puis, la souveraine et sa suite montent dans le train d’inauguration de la ligne Paris-Le Pecq. Le duc d’Orléans s’asseoit dans la première voiture, sur la banquette à air libre avec, auprès de lui, le duc d’Aumale.

À deux heures trente minutes, la reine donne l’ordre de départ. Les trompettes sonnent. La longue file de véhicules magnifiquement pavoisés s’ébranle lentement. Précédée d’un panache de fumée, elle augmente bientôt son allure, franchit allégrement tunnels et ponts, brûle les stations jusqu’au terminus, après avoir suscité chez les campagnards tout au long du parcours, une admiration quelque peu tempérée par l’étonnement et la crainte.

La locomotive était conduite par le mécanicien André Poncet, assisté de deux aides, Fauconnet et Wall. Debout auprès de lui, veillant attentivement à la sécurité du convoi, se tenait l’ingénieur en chef de la compagnie, Eugène Flachat.

[Eugène Flachat] un homme d’une merveilleuse intelligence et d’une incomparable bonté, génie créateur et varié d’une extraordinaire souplesse et d’une ressource inépuisable qui avait frappé de stupeur les routiniers en lançant les ponts en tôle d’Asnières sur la Seine, de Langon sur la Garonne, d’Aiguillon sur le Lot, de Moissac sur le Tarn, l’audacieux qui avait osé jeter en 1853 sur la gare Saint-Lazare la grande ferme en fers spéciaux dont la portée était la plus vaste qu’on eût encore atteinte en France et soutenir dans les airs la cathédrale de Bayeux pendant qu’il refaisait les fondements sur pilotis métalliques.

Pour ce grand ingénieur mort à la peine sans avoir été à l’honneur autant qu’il le méritait qu’a-t-on fait ?

Une plaque à son nom dans une petite rue et, sur le boulevard Pereire-Nord, un buste dont le soubassement s’orne de quatre panneaux sculptés, évoquant les domaines dans lesquels a brillé celui qui compte parmi les plus grands bâtisseurs de nos chemins de fer.

 
MONUMENT EUGÈNE FLACHAT (1897) PAR ALFRED BOUCHER (1850-1934) • 5 RUE VERNIQUET • PARIS 17ème
MONUMENT EUGÈNE FLACHAT (1897)
PAR ALFRED BOUCHER (1850-1934)
5 RUE VERNIQUET • PARIS 17ème • 48° 53' 13.0 " N, 02° 18' 02.9" E
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