Index
Suivante
Précédente
LES CHEMINS DE FER À PARIS - LA GARE DE L'OUEST (RIVE DROITE) EN 1868 PAR MAXIME DU CAMP - PARTIE VI / XI

 

Vue intérieure d'un poste intermédiaire de télégraphie - Station de Charenton
Vue intérieure d'un poste intermédiaire de télégraphie. Station de Charenton [*]

“ Lorsque, tournant le dos au souterrain à triple tunnel qui passe sous le boulevard des Batignolles, on aperçoit l'ensemble de la gare [Le soir, la gare est éclairée par plus de 800 becs de gaz, et dans les temps de service exceptionnel par 1.100.], on reconnaît qu'elle a presque la forme d'une immense mandoline dont les rails seraient les cordes, et dont les poteaux de signaux placés à chaque embranchement seraient les chevilles. L'endroit est curieux, car on y comprend mieux que partout ailleurs la complication et la simplicité des manœuvres. Un son de huchet retentit au loin, il est immédiatement répété à l'entrée de la gare ; on voit un homme sortir d'une petite cabane vitrée, saisir le levier d'une aiguille, l'abaisser, modifier par ce seul mouvement la position d'un disque indicateur et mettre le train sur la voie qui doit le conduire à son quai spécial. Incessamment, pour les trains qui arrivent comme pour les trains qui partent, une manœuvre analogue se reproduit, quand le brouillard s'épaissit, on allume sur les disques des feux dont la position déterminée, les couleurs différentes, verte, rouge, jaune, ont une signification particulière qui est comprise par tous les employés comme un ordre écrit. Les combinaisons diverses qui servent à acheminer un train vers un point précis et à lui réserver en temps utile une voie spéciale sont tellement ingénieuses et tellement claires, que les accidens survenus en gare, là même où les trains semblent des navettes toujours en mouvement, sont assez rares. Plusieurs années se passent souvent sans qu'on puisse en signaler un seul. Les aiguilleurs sont toujours à leur poste, on les choisit parmi les agens les plus intelligens et les plus attentifs ; leur travail, purement mécanique, n'exige qu'une force médiocre ; dès qu'un train doit passer devant eux, ils sont prévenus d'abord par le son du huchet, ensuite par le sifflement prolongé de la locomotive, enfin par une sonnette électrique placée près de leur guérite. Un agent particulier, chargé de l'inspection des aiguilles et des disques, est sans cesse sur la voie, surveillant les aiguilleurs, examinant les manœuvres, punissant toute négligence et assurant la prompte et stricte exécution du service. Le bon fonctionnement des signaux et le respect qu'ils imposent sont la meilleure garantie de sécurité pour un chemin de fer ; aussi le règlement contient-il cette prescription : tout employé, quel que soit son grade, doit obéissance passive aux signaux.

 

On a essayé souvent des signaux automatiques, mais on y a renoncé ; le meilleur instrument de sécurité, c'est encore l'homme, lorsqu'on est parvenu à lui faire comprendre l'importance de son devoir, et l'on rendra cette justice aux employés des chemins de fer, qu'ils connaissent et pratiquent le leur avec sagesse et ponctualité. Pour plus de sûreté néanmoins, on a, par un procédé très ingénieux, combiné le jeu des aiguilles avec celui des signaux, de telle sorte que, lorsqu'on dirige un train sur une voie, l'employé, avant de pouvoir manœuvrer l'aiguille, met forcément à l'arrêt le signal protecteur de cette voie. De plus, quand le signal est à l'arrêt, il amène sur le rail interdit un pétard détonnant. Si, par suite d'un hasard, le signal n'a pas été aperçu, la locomotive passe sur la boîte fulminante, qui, écrasée par les roues, lance un avertissement acoustique auquel le mécanicien se hâte d'obéir. Cette invention est due à M. Vignier, ingénieur à l'Ouest ; elle lui a valu un grand prix à l'exposition universelle de 1867. Tout mécanicien qui, malgré l'ordre d'arrêt, arrive jusqu'à l'aiguille et fait détonner le pétard, est puni d'une amende, quoiqu'il n'ait donné lieu à aucun accident. Le disque, visible pendant le jour par sa forme, la nuit par ses feux, est l'indicateur spécial. Selon qu'il est effacé ou fermé, c'est-à-dire parallèle ou perpendiculaire à la voie, selon qu'il montre un feu blanc ou un feu rouge, la route est déclarée libre ou obstruée. Normalement l'absence de tout signal indique la voie libre, mais la surveillance est toujours sur le qui-vive ; l'article du règlement est positif : « sur tout les points et à toute heure, les précautions doivent être prises comme si un train était attendu. » L'Ouest a renchéri encore sur les signaux en usage, et l'on vient d'y inaugurer un nouvel indicateur composé d'une plaque carrée où sont pratiquées deux ouvertures éclairées par une seule lampe à réflecteur. Suivant que les lumières sont apparentes ou cachées, les trains s'arrêtent ou continuent leur route. Pour bien faire comprendre avec quelle sagacité les signaux et les aiguilles sont distribués à l'issue de la gare de l'Ouest, il faudrait un plan indicatif et détaillé. Ce plan existe, il est annexé au règlement spécial que la compagnie remet à tous les aiguilleurs, mécaniciens ou conducteurs de convois ; 70 aiguilles, 26 signaux différens s'affirmant, se détaillant, se rectifiant les uns les autres, expliquent comment les accidens sont naturellement évités malgré les causes multiples qui sembleraient devoir les faire naître. Grâce aux manœuvres des aiguilles et des signaux, on peut dire que dans une gare bien distribuée il y a autant de voies qu'il y a de trains montans et descendans. Je ne puis mieux comparer la gare de l'Ouest qu'à une caisse de sécurité ; pour l'ouvrir et pour la fermer, il faut connaître le secret des serrures, des verrous. Ce secret, qui au premier coup d'œil paraît très compliqué, est d'une simplicité extrême, et il est confié à des hommes, toujours surveillés, qui le connaissent et le pratiquent avec une précision que rien ne met en défaut. ”

Aiguilleur
Aiguilleur [**]
 
 
 
 
Signal d'arrêt, par le drapeau rouge (1850)
Signal d'arrêt, par le drapeau rouge (1850) [***]
 
 
 
 
Aiguilleur de la Compagnie du chemin de fer de l'Ouest manœuvrant, en plein air, un appareil d'aiguillage Vignier (1886)
Aiguilleur
de la Compagnie du chemin de fer de l'Ouest
manœuvrant, en plein air,
un appareil d'aiguillage Vignier (1886) [**]
RÉFÉRENCES